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de sa propre virtuosité, et s’applaudit des résolutions prises dans ces congrès comme de succès qui lui seraient personnels. Il en avait quelque peu le droit, car les actes essentiels, par exemple la fameuse déclaration de Laybach, sont son œuvre. Il s’anime la plume à la main contre la révolution, et après une conférence où l’entrée de 95,000 Russes en Italie a été résolue pour avoir raison des Napolitains, il écrit au fidèle Pilat : « Il fallait en venir là ; . force est de combattre la révolution corps à corps, puisque les armes morales sont désormais impuissantes. Armés de pied en cap, toutes masses réunies, canons et cosaques d’un côté, bandits et fusées incendiaires de l’autre, il faut que les deux systèmes luttent à mort et qu’on sache lequel est le maître du monde. Voilà ce que l’empereur Alexandre a compris, et nous avec lui… Si nous l’emportons, la bonne cause est sauvée ; si nous sommes battus, le bon Dieu peut créer un nouveau monde, c’en est fait de l’ancien[1]. »

Au congrès de Vérone, Gentz s’entend à merveille avec, les plénipotentiaires français, particulièrement avec M. de Chateaubriand, qui, dit-il, le comble de caresses. « Nous avions hier un dîner diplomatique chez le prince, j’y ai vu pour la première fois Chateaubriand ; j’étais assis à côté de lui. Il connaît parfaitement ce que j’ai écrit… Il m’a dit entre autres choses qu’un fait immense et qui n’échapperait pas à l’histoire, c’est que, quatre ou cinq ans après que tout semblait désespéré, une poignée d’hommes, — on pourrait les compter sur ses doigts, — qui avaient osé combattre sérieusement la révolution en soient venus à mettre aujourd’hui cabinets et armées en campagne contre l’ennemi commun. Il signale comme les deux grandes époques de cette réaction hardie, en France la fondation du Conservateur, en Allemagne le congrès de Carlsbad[2]. » Gentz écrit encore : « Chateaubriand est parti avant-hier soir ; son séjour à Vérone, quoiqu’au commencement très pénible pour sa vanité, lui aura plus profité que dix années à Paris… Montmorency et La Ferronays ont aussi pris de nous et du reste du monde des idées bien différentes de celles qu’ils avaient apportées[3]. » Gentz veut dire qu’on leur avait fait comprendre qu’en chargeant la France d’intervenir en Espagne on entendait qu’elle fût le bras de la sainte-alliance, rien de plus, et qu’on pourrait au besoin de franciser cette affaire. Le congrès de Vérone ne lui laisse pourtant pas une satisfaction sans mélange ; il est le dernier acte d’une entreprise qui supposait, pour être menée à bien, une entière communauté dépensée et d’action entre les gouvernemens. et il a montré que cette

  1. Tome II, p. 43.
  2. Briefe an Pilat, t. II, p. 81.
  3. Ibid., t. II, p. 136.