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majesté de les exaucer[1]. Ce n’était point sans peine que Consalvi avait amené ses collègues à signer cette réponse, qui déjouait tout le plan de l’empereur. « Il était ivre de colère en sentant ses volontés ainsi dédaignées, raconte Consalvi, » et, déchirant la lettre des cardinaux en mille morceaux, il les jeta au feu pendant que son oncle le mettait verbalement au fait de ce qui s’était passé.

Telle était aux approches de son union avec l’archiduchesse Marie-Louise la disposition déjà passablement irritée où se trouvait Napoléon tant à l’égard du cardinal Consalvi que des membres italiens du sacré-collège. Cependant il s’en fallait de beaucoup, ainsi que déjà nous l’avons indiqué, qu’il régnât parmi ces cardinaux un accord parfait, et les cérémonies du prochain mariage allaient, en les divisant en deux camps opposés, donner à Napoléon l’occasion de reconnaître quels étaient ceux sur lesquels il pouvait absolument compter et de faire sentir aux autres tout le poids de son redoutable ressentiment. Quatorze des cardinaux italiens avaient trouvé régulière et suffisante la sentence de l’officialité de Paris sur la non-validité du mariage religieux de Napoléon avec Joséphine. Treize autres pensaient au contraire, et Consalvi était du nombre, qu’il n’appartenait qu’au pape de se prononcer dans une si grave affaire. Jamais les deux partis opposés, malgré les pourparlers qu’ils avaient eus entre eux, n’avaient pu se mettre d’accord pour tenir une conduite commune. Les opposans, par l’intermédiaire de leur doyen, le cardinal Mattei, avaient fait expliquer leur façon de penser au cardinal Fesch. Ils lui firent savoir qu’ayant, en leur qualité de cardinaux, juré de maintenir dans leur intégrité les droits du saint-siège et les jugeant lésés par l’annulation du mariage de l’empereur prononcée sans la participation de Pie VII, ils ne croyaient point pouvoir assister à la bénédiction nuptiale qui serait donnée aux époux. S’ils avertissaient l’oncle de l’empereur de leur détermination, c’était surtout pour qu’il fit en sorte que la chose ne devînt pas publique. Le cardinal Consalvi eut soin de faire remarquer que, leurs objections n’ayant trait qu’à la cérémonie religieuse, rien ne les empêcherait de se faire présenter à la future impératrice, ni de paraître après le mariage à la réception des grands corps de l’état. Il suffirait donc de ne pas les inviter tous et en corps, d’inviter une portion d’entre eux seulement, sous prétexte de l’insuffisance de la salle, comme on faisait d’ailleurs pour le sénat et pour le corps législatif; de cette façon l’absence des opposans passerait inaperçue du public, et l’on éviterait toute fâcheuse interprétation. Il était difficile de montrer plus de franchise, mais aussi plus de mesure et

  1. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 188.