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sans doute paru insignifiant ; aux yeux de l’inspecteur et du sergent chargés de suivre les traces de l’accusé ; ce fut un trait de lumière. On visita la boutique de tous les joailliers de Londres pour savoir si un gentleman dont la police était à même de fournir le signalement avait laissé un porte-crayon à raccommoder. Au bout de quelques jours, ces recherches furent couronnées de succès : un bijoutier de la Cité avait reçu l’objet en question ; la maison de cet honnête marchand fut entourée d’une surveillance particulière, et le samedi suivant le faussaire se présenta lui-même pour retirer son pencil-case ; il fut aussitôt arrêté.

Il en est pourtant, de cet art comme de tous les autres, les règles ne suffisent point, il y faut une sorte de génie naturel. D’abord quelques detectives sont doués d’une mémoire extraordinaire, des dates et des personnes. La notion exacte du temps est dans plus d’un cas un des élémens de certitude, et d’un autre côté ils doivent chaque jour constater l’identité de gens qui ont tout intérêt à ne point être reconnus. Leur attention ne s’attache point seulement aux » traits du visage. Un homme peut très bien modifier sa figure, changer la couleur de ses cheveux et de sa barbes dénaturer son teint ; mais, surtout dans un moment de surprise ou d’émotion, il ne saurait aussi aisément déguiser sa voix. Le timbre de l’organe, les notes basses ou aiguës, les moindres vices de prononciation, sont autant de caractères inaltérables de la personnalité humaine. Certains agens secrets possèdent en vérité comme un sixième sens pour analyser toutes ces nuances subtiles et délicates. Un crime a-t-il été commis, avec quel instinct sûr ils interprètent les faits les plus minimes, déchiffrent en quelque sorte les hiéroglyphes des choses, et relient un à un les fils d’un réseau de probabilités qui menacent à chaque instant des évanouir dans les ténèbres ! Une fois lancé à la poursuite de l’accusé, quel flair, et comment ils s’attachent à sa trace. Un autre peut savoir la langue des voleurs, slangs avoir pénétré par l’étude dans les mœurs de ce pays dangereux, et avec tout cela manquer des aptitudes, on oserait presque dire des dons de nature qui sur un tel terrain conquièrent forcément le succès. Les vrais detectives aiment leur état ; ces fonctions si peu enviées et si peu enviables ont pour eux l’attrait de la lutte. C’est par goût qu’ils étudient le gîte des bêtes fauves dont il leur faut suivre la piste ; ils mettent de l’amour-propre à braver certains dangers, à défier le sommeil et la fatigue. La considération de la récompense et du profit n’est sans doute point étrangère à leur zèle, mais ils obéissent aussi au point d’honneur. De même que les limiers pur sang, ils chassent d’enthousiasme, et combien au moment où ils saisissent enfin leur gibier est vive la joie du triomphe !