détenu était qu’après sa sortie de prison il viendrait de temps en temps se déclarer lui-même aux autorités. Il faut pourtant avouer qu’une telle mesure a été très rarement mise en pratique. On trouva que la condition de cet homme était assez misérable déjà sans qu’une surveillance particulière l’aggravât d’un stigmate officiel. Les maîtres des chantiers ne sont partout que trop portés à lui refuser de l’ouvrage, et les artisans ordinaires témoignent une forte antipathie à l’admettre dans leurs rangs. Il y a quelques années, les quatre juges de paix de l’Yorkshire résumaient en ces termes les plaintes des ticket-of-leave-men : « Nous désirons vivre honnêtement, disent-ils, mais nous ne trouvons personne qui nous emploie. Les agens de police sont nos principaux ennemis ; ils nous poursuivent comme des chiens, disent à tout le monde qui nous sommes, et chacun nous tourne le dos. Exiger en outre que nous allions nous dénoncer, à eux, ce serait afficher publiquement notre infamie, et il ne nous resterait plus alors qu’à choisir entre ces deux extrémités : voler ou mourir de faim. » Les mœurs, le caractère, les institutions, tout répugne en Angleterre à un système d’espionnage et de surveillance. Jaloux de leurs libertés, nos voisins craindraient qu’une telle arme ne vînt à se retourner dans les mains du pouvoir contre ceux qui lui déplaisent et à servir les desseins d’une politique astucieuse. On commence par les voleurs et l’on finit par les prétendus ennemis de l’état. Aussi l’opinion publique se prononça-t-elle énergiquement contre les mesures tracassières, même envers les repris de justice, et la condition écrite au revers du billet de congé devint par cela même lettre morte. N’y a-t-il point toutefois un véritable danger à ce qu’un criminel qui n’a jamais peut-être mérité sa grâce puisse aller et venir sans contrôle, se cacher dans Londres, cette forêt d’hommes, et chasser de nouveau sur la propriété d’autrui ? Le danger existe assurément, et tous les inspecteurs de Scotland-Yard le signaient. L’un d’eux connaît un forçat libéré avant l’expiration de son temps qui tient à Londres une école de vol où trente garçons et jeunes filles profitent des leçons de cet habile maître. Il y a quelques mois, un autre ticket-of-leave-man qui avait réussi à endormir tous les soupçons était sur le point d’épouser une riche lady, lorsque la police démasqua une longue série de fraudes dont il s’était rendu coupable. Le fait est qu’après avoir essayé tour à tour de la sévérité, de la modération et de l’indulgence, l’Angleterre se trouve aujourd’hui très embarrassée avec ses criminels. Emprisonnés, ils sont une lourde charge pour l’état ; libres, ils jouent au plus fin avec la justice et mettent en défaut la vigilance des autorités, qui ne réussissent même point à leur inspirer une salutaire terreur. L’ancienne loi du talion trouve désormais très peu
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