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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/726

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nouvel Opéra est encore bien loin : en attendant, j’ai compté dans toute l’exposition de 1868 cinq ou six essais de peinture décorative.

C’est le Vainqueur de M. Ehrmann, une belle composition très claire et d’un bon style, mais qui me semble un peu mollement exécutée, et la Céramique de M. Bouvier, qui pèche par le défaut contraire, car la figure d’homme est d’un modelé trop sec. La couleur, en revanche, est d’un éclat, d’une fraîcheur et d’une finesse qui rappellent les plus splendides porcelaines de la Chine ou les plus jolies toiles de M. Gustave Moreau, La figure du Jeu est une œuvre distinguée, comme toutes celles de M. Puvis de Chavannes, on y remarque même une finesse de modelé qui manquait trop souvent chez ses aînées ; mais la figure s’enlève sur une draperie volante dont le mouvement s’explique mal, la tête, d’une physionomie finement satanique, est trop petite, les formes du corps montrent un peu trop d’angles, et je crois que la conception de l’artiste pèche en un point capital. Le propre d’une décoration, — M. de La Palisse l’a peut-être dit avant moi, — est de décorer l’édifice ; donc le premier devoir d’une figure décorative est d’être belle. Le peintre aurait beau dire que son but est d’émouvoir, d’étonner, de convertir les regardans, de les écarter du tapis vert (dans un cercle !) en leur montrant le jeu sous une couleur effroyable : on lui répondrait que les maîtres en pareille occasion, ne manquent pas d’embellir de leur mieux les allégories les plus sinistres. La tête de Méduse n’était pas faite à coup sûr pour attirer Les gens ; toutefois les anciens l’ont rendue aussi belle qu’ils ont pu, et j’ose dire qu’elle n’en est pas moins terrible. L’animal ténébreux que la fable chrétienne emprunta jadis aux Persans, le diable, puisqu’il faut l’appeler par son nom, est toujours beau dans les décorations du XVIe siècle lorsqu’il est représenté sous les traits d’un homme.

M. Bin, qui décorait l’an dernier avec un goût parfait l’exposition d’Égypte, a repris dans la Genèse une légende cent fois exploitée, parce qu’elle comporte un paysage, un jeune homme, une femme et un vieillard majestueux : c’est la naissance d’Eve. Quel mobile le pousse à se risquer sur un terrain où il est vaincu d’avance par les maîtres ? Eh ! la démangeaison de placer une idée neuve et piquante, le plaisir de peindre un pommier en fleur sur la tête de l’homme endormi et de la femme fraîche éclipse. Du reste son Adam ne paraît pas mal esquissé, mais Eve est déplorablement mesquine et piteuse. Triste réveil pour l’auteur du genre humain, s’il est homme de goût. Je sais que les beaux modèles de femme se font rares à Paris depuis que l’Europe et l’Amérique y prennent leurs vacances ; mais M. Bin n’avait qu’à jeter son filet dans la rue pour trouver mieux que cet avorton blafard. La figure du créateur