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suivante, il exposa deux figures mal accoutrées, d’une couleur assez malpropre et d’un type horriblement vulgaire. Il se relève aujourd’hui tant bien que mal. Ses petits joueurs de trictrac sont bien peints, cela va de soi ; mais la tonalité générale du tableau est assez morne. Les têtes ne manquent pas de finesse, mais les mains sont des pattes. J’ai grand’peur que M. Roybet ait quelque peu mangé son blé en herbe, suivant la mode qui s’établit chez nous. Peut-être restera-t-il toute la vie au-dessous de son premier succès, parce qu’il a réussi trop tôt, sans avoir un fonds suffisant, et qu’il ne s’est pas remis à l’école.

M. Jacquet s’est révélé par une œuvre très distinguée l’année dernière. Son premier tableau, l’Appel aux armes, promettait un fin coloriste et un dessinateur sérieux. Tout naturellement nous attendions l’auteur à son second ouvrage. Dirai-je qu’il a déchu ? Non, mais le progrès est peu ou point visible. Les lansquenets que la trompette appelait en 1867 défilent en 1868. C’est la suite du tableau précédent, sans qualités nouvelles. La toile est plus grande, je crois, il y a certainement plus de figures ; mais ces figures ne sont pas à leurs plans, et elles s’empilent les unes sur les autres au mépris de toutes les lois de la perspective. L’ambition du jeune artiste paraît avoir grandi, mais c’est tout. Je souhaite que MM. Regamey et Clairin profitent de ces exemples.

L’un nous montre un groupe de cuirassiers assez crânes, drapés en coup de vent dans leurs manteaux d’un beau rouge sur des chevaux qui n’ont pas mauvaise tournure. L’autre a représenté des Bretonnes qui brûlent du varech avec des gestes de sorcières effarées. J’ai cru, dans le premier moment, qu’il s’agissait d’une métamorphose oubliée par Ovide, et que plusieurs de ces bonnes femmes avaient déjà les doigts effilés en varech. Les deux tableaux sont loin d’être parfaits, mais ils promettent. J’en augurerais bien pour l’avenir de MM. Clairin et Regamey, si nous n’avions pas l’habitude de vêtir les jeunes talens se nouer, à la suite de leur premier succès, par les raisons que j’ai déduites tout à l’heure. M. Reynaud, qui fut une de nos espérances, a fait un beau début suivi d’un plongeon trop prolongé. Il reparaît sur l’eau depuis deux ans, et ses Vanneuses sont une toile estimable et agréable ; mais il n’y a pas de progrès bien sensible entre le premier tableau de cet artiste et son dernier.

M, Tissot, qui s’était fait connaître comme un imitateur de M. Leys, a quitté les emplois secondaires pour se livrer à la recherche de son originalité. Il tâtonne encore un peu ; cependant il commence à se trouver lui-même. Le Déjeuner nous montre deux petits personnages de la fin du siècle dernier bien finement étudiés dans leurs