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tableau, je vois naître une légion de jeunes campagnards qui abattront une pochade par jour, sans savoir dessiner, ni même lire.

En attendant, jouissons de notre reste. Nous avons M. Corot, qui est un maître incomplet, mais un maître. M. Desgoffe dessine encore excellemment ; pourquoi faut-il que sa couleur porte le deuil de la nature entière ? M. Belly est tout à fait supérieur cette année dans son tableau du Soir en Égypte. Il est permis d’aborder une grande toile lorsqu’on peut la remplir de beaux objets bien dessinés. Les immenses tableaux à moitié vides ou comblés de détails insignifians, comme le Lever de lune de M. Daubigny, me rappellent ces festivals où deux mille chanteurs s’enrouent à chanter une ariette. Les deux tableaux de M. Bellel, quoique assombris et fatigués par l’excès des retouches et la fureur de trop bien faire, sont fort intéressans. Le beau dessin se marie à la bonne couleur dans la Vue d’Ostie, par M. de Curzon. M. Imer a un bien joli Chemin de Crozant, où un certain précepteur en soutane conduit deux garçons par la main. Espérons que l’aimable artiste n’a pas symbolisé l’avenir de la France. Les Genêts de M. Bernier, l’Enfant prodigue de M. Penguilly, les deux marines de M. Clays, l’Épisode de naufrage par M. Feyen-Perrin, les Ramasseurs de varechs de M. Héreau, la Neige de M. Emile Breton, le Sous bois de M. César de Cock, sont des ouvrages d’un vrai mérite. M. Hanoteau, quoique un peu lourd, se soutient ; M. Harpignies s’élève, M. Flahaut prend du style, M. Chintreuil excelle à modeler les plans à peine visibles de nos plates banlieues, M. Daubigny fils arriverait à quelque chose, si son travail n’était pas scandaleusement lâché. J’aurais quinze ou vingt peintres à citer à la suite, puis cinquante autres qui vraiment ont quelques qualités, puis cent cinquante nouveaux qui ne sont par trop maladroits, et quand j’aurais fini, on me ferait observer que j’en ai oublié une centaine : c’est pourquoi je m’arrête ici.

L’administration des beaux-arts a décidé que, Barbizon n’étant plus qu’à deux heures de Paris, ce serait gaspiller les fonds de l’état que d’envoyer de temps à autre un paysagiste à Rome. Grand bien nous fasse ! Parlerai-je des fleurs et des fruits de M. Maisiat, du gros bouquet frais et brillant que M. Philippe Rousseau nous envoie, du cerisier de M. Méry, morceau de peinture excellent, mais tableau Quatre fois trop grand en raison de ce qu’il contient ? Les plus belles fleurs du Salon sont peintes sur deux plats de faïence par Mme Eléonore Escallier. Le Japon nous les envierait, et c’est beaucoup dire. Qui sait si cette artiste vraiment artiste, mais, hélas ! plus remarquable que remarquée jusqu’ici, n’a pas conquis la renommée et l’indépendance en essayant sur émail ce qu’elle fait admirablement sur toile ? M. Blaise Desgoffe, toujours fin, toujours fort, mais toujours un peu sec et pointilleux, a vu surgir un