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taient sur le fait que le Fils n’est pas éternel comme le Père, puisque son existence distincte et personnelle n’avait commencé qu’avec le moment précédant immédiatement la création ; Denys d’Alexandrie allait même jusqu’à le ranger parmi les êtres créés. D’autres au contraire, et ceux-là étaient dans le courant ascensionnel de la croyance populaire, tels qu’Irénée, Clément d’Alexandrie, Denys de Rome, voilaient plutôt, sans cesser toutefois de la reconnaître, cette subordination du Fils, au point d’effacer presque toute distinction réelle entre le Père et lui. Nous ne parlons pas en détail d’Origène ; son système, le plus profond, le plus original de tous, aboutit nettement à l’unitarisme, bien qu’ostensiblement il ne s’écarte pas du thème généralement admis. Ce qui suffit à notre exposé sommaire, c’est d’indiquer la facilité avec laquelle la doctrine du Verbe se concilia les sympathies des pères de la tradition ecclésiastique, c’est-à-dire de ceux qui, malgré tout ce qui les distingue de l’orthodoxie fixée après eux, n’en ont pas moins posé les jalons de la route suivie par la croyance catholique dans sa période de formation.

À mesure que la doctrine du Verbe avait pris pied, des protestations s’étaient fait entendre. Nous ne parlons pas seulement des Juifs chrétiens, dits ébionites et nazaréens, qui, concentrés dans la région du Jourdain, s’opiniâtraient dans leur croyance primitive. Même au sein de la grande église disséminée dans tout l’empire, des communautés entières protestaient au nom du monothéisme, qu’elles croyaient menacé par cette innovation doctrinale qui, de quelque manière qu’on s’y prît, aboutissait nécessairement à stipuler l’existence de deux dieux. Il y eut en Asie-Mineure un parti obscur, dont pourtant l’existence est attestée par les pères, et qui, sous le nom d’aloges, combattit longtemps la doctrine du Logos ainsi que l’authenticité des écrits johanniques. Cet unitarisme des IIe et IIIe siècles en appelait à la vieille tradition sur la personne de Jésus et à la nécessité de maintenir rigoureusement la monarchie divine, d’où le nom de monarchique alors donné au parti unitaire. Il paraît qu’à Rome surtout sa puissance fut grande et prolongée. Praxéas, unitaire d’Asie-Mineure, fut parfaitement accueilli par l’évêque romain, au grand scandale de Tertullien, et sans doute avec l’approbation de l’église de la ville impériale. Théodote et Artémon enseignèrent au sein de cette communauté l’humanité pure et simple du Christ, et tout ce que nous savons du régime intérieur de cette importante église par le livre des Philosophoumena, dont nous avons parlé ici même[1], confirme ce que l’on

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1865.