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possède, mieux que personne l’art de les féconder. Nous devons donc nous féliciter qu’il ait entrepris de nous dire ce qu’il pense de l’état de l’instruction. publique et surtout de l’instruction supérieure chez nous. Je me souviens que son opinion étonna beaucoup de personnes quand il eut l’occasion de l’exprimer pour la première fois. On est revenu aujourd’hui de cette surprise, et la plupart de ceux qui ont réfléchi sur ce grave sujet pensent comme lui. Sa cause semble gagnée, je ne veux donc pas la plaider encore ; seulement je crois utile de joindre aux idées qu’il expose celles que la pratique de l’enseignement suggère aux gens qui ont vécu longtemps dans les lycées et dans les facultés, et d’essayer de faire entrevoir le remède où il s’était contenté de signaler le mal.


I

C’est aujourd’hui le sentiment général que les imperfections de notre enseignement tiennent à l’organisation qu’il a reçue quand on l’a créé. À ce propos, il peut être curieux d’observer les vicissitudes de l’opinion dans les jugemens qu’elle porte sur les événemens même les plus rapprochés de nous. Il y a quelques années, M. Thiers, dans son histoire et à la tribune, comblait d’éloges le décret impérial qui a fondé l’Université, et beaucoup de gens partageaient sans réserve son admiration. Aujourd’hui on est tenté d’aller à l’extrême opposé et de tout blâmer dans les décrets de 1808 et de 1811. Il y a cependant des distinctions à faire. Assurément l’empereur Napoléon Ier eut grand tort d’établir un monopole rigoureux en faveur de l’Université : c’est un privilège qu’elle a plus tard payé bien cher ; mais faut-il dire que l’état commit une faute en se chargeant de donner l’instruction lui-même et en créant à son compte des collèges, des lycées ? Je ne le crois pas, quoique ce soit une opinion fort accréditée. Bien des gens trouvent que chez nous l’état se mêle de trop de choses, et ils n’ont pas tort. Ils le voudraient moins actif, moins envahissant, moins disposé à penser et à agir pour tout le monde. Il leur semble, par exemple, qu’il devrait, comme en Angleterre et en Amérique, abandonner l’enseignement à l’industrie privée, laisser chacun libre d’ouvrir une maison d’éducation quand il jugerait que le besoin s’en fait sentir, et se fier à la concurrence pour forcer les instituteurs à perfectionner leurs méthodes et à devenir meilleurs que leurs voisins afin de mieux réussir qu’eux. Ce système est fort séduisant, mais il aurait certainement chez nous des résultats fâcheux. Supposons que subitement l’état ferme ses collèges et déserte le combat, qu’arrivera-t-il ? Il ne faut pas se faire d’illusion, l’enseignement ecclésiastique profitera seul de son