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soin, sont livrés aux confectionneurs de tablettes de bouillon, et, après qu’on en a extrait la gélatine, revendus aux fabricans de noir animal. Il n’y a pas de sots métiers, dit-on ; je le crois sans peine, car l’on cite quelques marchands de viandes cuites qui se sont retirés du commerce après avoir amassé une dizaine de mille livres de rente en quelques années.

C’est là qu’on trouve aussi les marchands de mie et de croûte de pain. On utilise tout dans cet immense Paris, et il n’est objet si détérioré, si dédaigné, si minime, dont quelque homme intelligent ne parvienne à tirer parti. Le fond de la marchandise première dont ces industriels ont besoin est fourni surtout par les collèges, par les pensionnats. Les enfans gâchent volontiers le pain qu’on leur donne, ils le jettent, le poussent à coups de pied dans les cours où ils prennent leur récréation. Tous ces morceaux de pain couverts de poussière, tachés d’encre, qui ont trempé dans les ruisseaux, qui ont durci oubliés derrière un tas d’ordure, sont recueillis avec soin par les domestiques et vendus aux boulangers en vieux. Ceux-ci divisent leur marchandise en catégories, selon qu’elle est plus ou moins avariée. Les fragmens encore présentables, préalablement séchés au four et passés à la râpe, deviennent les croûtes au pot et servent à faire de la soupe ; la plupart des coûtons en forme de losanges posés sur les légumes n’ont point d’autre origine. La mie et les croûtes trop défectueuses sont battues au mortier, pulvérisées, et forment la chapelure blanche que les bouchers emploient pour paner les côtelettes et la chapelure brune dont les charcutiers saupoudrent les jambonneaux. Quant aux débris infimes, on les fait noircir au feu, on les pile, et, ainsi réduits en poudre noirâtre, on les mêle avec du miel arrosé de quelques gouttes d’esprit de menthe, de façon à en composer un opiat pour les dents qui, dit-on, n’est pas plus mauvais qu’un autre.

Les halles sont bien grandes, l’aménagement en a été fait avec soin, et cependant elles sont insuffisantes pour contenir tous les marchands qui devraient y trouver place. Certains marchés débordent et occupent les rues voisines, comme au temps où l’espace ménagé et devenu trop étroit forçait les approvisionneurs à se réfugier le long des maisons, loin des pavillons couverts en bois qui ne pouvaient les abriter. Dans la rue de la Ferronnerie, des femmes accroupies sur le pavé, au milieu de la chaussée même, vendent pendant la matinée des plantes officinales. Ce genre d’herboristerie est surveillé d’une façon toute spéciale, car il faut éviter que derrière des bottelées de sauge et de romarin on puisse dissimuler les herbes chères aux sorcières pour leurs maléfices les plus coupables, la rue, l’armoise, la sabine. La rue des Halles est envahie par les