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va se prolonger peut-être jusqu’à midi, si le poisson a été abondant ; les cuisinières, bras nus et portant des paniers, arrivent pour faire leur provision ; les fiacres se rangent à leur place réservée au chevet de l’église Saint-Eustache ; les cafés, les cabarets des environs sont pleins ; tous les paniers de formes différentes, mannes et bourriches, qui tout à l’heure embarrassaient le marché, sont rassemblés, réunis, ficelés par lots, munis d’une étiquette indicative et empilés dans les resserres en attendant que le service des chemins de fer les fasse enlever pour les reporter gratuitement aux expéditeurs ; le balayage est fait, les boueux, conduisant leurs lourds tombereaux, enlèvent les tas d’ordures, et les marchandes aux petits tas, apportant avec elles leur chaise, leur table, leur chaufferette, prennent possession du carreau, qui leur appartient de droit jusqu’à l’heure où, les pavillons étant clos, le marché sera fermé.

Pendant le reste de la journée, les halles offrent le spectacle d’un marché très vaste, mais qui ne diffère des autres que par des dimensions exceptionnelles. Pour un lieu qui a été si profondément agité, c’est relativement la période du repos qui commence. Les inspecteurs de chaque pavillon en profitent pour faire mettre au net les écritures rapidement ébauchées le matin et constatant les transactions. Leurs gros registres, où sont inscrits la désignation des marchandises, le nombre des lots, le mode et le produit de la vente, le nom des acquéreurs, les droits dus à la préfecture de la Seine et aux facteurs, contiennent sous une forme aride et sèche le détail quotidien de l’alimentation de Paris. Ils seront plus tard d’un intérêt de premier ordre pour l’historien qui voudra toucher sérieusement à cette question ; il est à désirer qu’ils soient conservés avec soin, et qu’ils aillent augmenter la collection déjà si riche et si curieuse des archives de la préfecture de police.


III

Ainsi qu’on a pu le voir, les halles n’ont plus rien de commun aujourd’hui avec ce qu’elles étaient jadis. On n’y vend plus ni draps, ni chaussures, ni friperies ; tous ces différens genres de négoce ont été dispersés dans Paris, où l’on rechercherait vainement le marché aux vieilles perruques, qui pendant le siècle dernier se tenait sur le quai des Morfondus. Tout est actuellement consacré à l’alimentation, et par le fait c’est le marché des Innocens qui, s’étendant de proche en proche, a fini par s’emparer en maître de toute la place. A l’heure qu’il est, le but des halles est parfaitement déterminé : elles représentent le garde-manger de Paris, elles fournissent des vivres aux cinquante-cinq marchés urbains, aux maisons