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bles par une bonhomie tout allemande et un parfum de poésie populaire qui fait excuser ses incroyables gaucheries, et ses énormes contre-sens historiques. Le génie littéraire allemand, comparé au nôtre, est d’éclosion tardive. On sait aujourd’hui combien l’Allemagne du moyen âge copia nos trouvères. La réforme, en remuant cette grande masse germanique jusque dans ses profondeurs, mit à découvert des couches intellectuelles qui n’avaient jamais vu le grand jour, et qui, vivifiées par la révolution religieuse, se mirent en marche avec la hardiesse inconsciente, la simplicité, l’étonnement devant les choses les plus naturelles, qui dénotent l’enfant inopinément livré à lui-même. Hans Sachs, de Nuremberg, a besoin d’être étudié dans son cadre natal pour être apprécié. Ce cadre, c’est la vieille ville allemande, dont plus d’un spécimen existe encore, avec ses rues raboteuses, ses fontaines gothiques, ses églises noirâtres, ses maisons aux angles aigus, aux tourelles singulières et aux toits qui n’en finissent pas. Dans cet enchevêtrement, où partout le bizarre se mêle à l’ingénu, le détail charmant abonde. C’est une porte ogivale d’un dessin ravissant, une statue laide, mais parlante, une grille compliquée et d’un travail exquis, des pilastres de bois sculptés et fouillés comme une pâte molle, une tête blonde derrière une étroite fenêtre aux vitres hexagones, un vieux clocher pointu, branlant, déchiqueté, qui reste debout on ne sait comment. Ne parlez pas ici de ligne pure, d’harmonie, de logique architecturale. Rien ou presque rien n’a le sens commun, et pourtant comme on aime à errer le long de ces paradoxes ! Hans Sachs n’est à sa place que dans ce milieu où la fantaisie est sérieuse et le sérieux fantasque. Une honnêteté lourde et robuste forme l’unité morale qui relie toutes ces disparates. On ne sait où il va chercher ses personnages ou plutôt où il ne va pas les chercher, Jupiter et Apollon se présentent devant la sainte Trinité; à côté du jugement de Salomon se déroule celui de Paris, et c’est encore le vieux Caron qui transborde les âmes des morts au moment du jugement dernier. Pour nous faire une idée de ce divorce absolu avec l’histoire, nous pouvons prendre sa tragi-comédie intitulée les Enfans d’Eve.

C’est une pièce en cinq actes, s’il vous plaît, et qui commence par les lamentations d’Eve vaquant aux soins de son ménage, mais soupirant au souvenir du paradis, à tout ce qu’elle a souffert depuis qu’elle l’a dû quitter, et à l’ennui de devoir toujours plier devant la volonté de son mari. Adam, qui a passé la journée à piocher la terre, arrive bien fatigué et la console affectueusement. Il a une nouvelle importante à lui annoncer. L’ange Gabriel l’a abordé dans les champs pour lui apprendre que le Seigneur a l’intention de venir le lendemain leur faire une visite. Le Seigneur veut voir