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Remarquez d’ailleurs qu’aujourd’hui ce sont les braconniers seuls ou à peu près qui alimentent le marché, car, la chasse étant une chose de luxe, ceux qui s’y livrent ne vendent guère leur gibier ; ils le consomment personnellement ou le distribuent à leurs amis. Si donc on en trouve à acheter, c’est aux braconniers qu’on le doit. Il n’est pas prouvé d’ailleurs que certains animaux, tels que les lapins, les lièvres, les cerfs, ne coûtent pas plus qu’ils ne valent, c’est-à-dire que, par les bois et les récoltes qu’ils mangent, ils ne constituent pas la société en perte. C’est donc aller contre l’intérêt général que d’en favoriser la multiplication, et de s’imaginer qu’on puisse par voie de réglementation créer des ressources sérieuses pour l’alimentation. C’est la liberté seule qui décidera les particuliers à établir des faisanderies et des parcs à gibier, où, ainsi qu’en Allemagne, celui-ci serait vendu comme viande de boucherie.

La loi de 1844 sur la chasse est une loi socialiste qui, comme la loi sur la pêche, a pour effet de désintéresser les propriétaires du genre de production qu’elle veut favoriser ; elle n’a produit aucun des résultats qu’on attendait d’elle, car le gibier continue à disparaître partout où il n’est pas l’objet de soins constans. Il faut donc revenir aux principes de la loi de 1790, c’est-à-dire au droit commun, et laisser chacun maître de faire chez lui ce qui lui plaît. L’état et les communes continueront à louer leurs forêts aux conditions qui leur conviendront ; quant aux particuliers, ils useront personnellement de leur droit ou le céderont dans les limites qu’il leur plaira de fixer, sans que personne ait à s’immiscer dans leurs affaires. Rien n’empêcherait d’ailleurs qu’on ne prît des mesures pour la conservation des oiseaux insectivores, car il s’agirait dans ce cas d’un intérêt agricole dont on ne saurait méconnaître l’importance. On entend souvent parler de liberté, mais bien peu de personnes comprennent qu’elle n’est pas autre chose que le droit de disposer de soi-même et de sa propriété. Au lieu de s’attacher à faire disparaître les entraves légales qui paralysent chacun de nos actes, on semble n’attacher d’importance qu’à la liberté politique, qui n’est après tout que la garantie de la liberté civile. C’est peut-être la marche inverse qu’il conviendrait d’adopter ; c’est à poursuivre l’abolition des monopoles et des réglementations surannées que les vrais libéraux devraient employer leurs efforts, car c’est par là seulement qu’ils arriveront à l’affranchissement de l’individu, but suprême de la société.


J. CLAVÉ.