Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est éternelle, qu’elle n’a pas commencé, et que par conséquent le mystère de son origine se confond avec le mystère même de l’origine des choses; mais, je le répète, tant que dureront les idées géologiques qui ont aujourd’hui cours, on doit considérer comme improbable l’hypothèse de la perpétuité de la vie[1]. Dès lors, la génération spontanée devant être acceptée par tout le monde à l’origine, sauf les interprétations de la foi, il importe assez peu qu’il se produise encore ou ne se produise plus de phénomènes de ce genre.

C’est surtout quand il s’agit des espèces supérieures, des mammifères, des anthropoïdes, de l’homme enfin, qu’en se reportant à l’origine l’imagination humaine semble reculer devant l’hypothèse d’une éclosion subite, d’une apparition absolue et sans précédent. Pour concevoir dans toute sa profondeur, et je dirais presque dans toute son horreur, la grandeur de ces problèmes, il faut se dire que, tous les momens de la durée étant homogènes, et le passé n’ayant rien en soi qui le distingue de l’avenir, il n’y a aucune raison de ne pas se représenter devant nous ou même à côté de nous ce que nous sommes forcés d’imaginer avant nous. Représentons-nous donc un instant dans cette série de phénomènes auxquels nous sommes habitués, dans ce milieu d’êtres qui nous enveloppent, dans ce réseau de lois que nous trouvons de plus en plus régulières à mesure que nous les étudions, imaginons aujourd’hui, ici, à l’instant même, au lieu où je parle, un individu d’une espèce nouvelle, absolument nouvelle, sans parens, sans liaison aucune avec rien de ce qui est, tombant au milieu de nous et faisant son apparition sur la terre comme l’homme un jour, dit-on, dans l’Éden. L’imagination recule épouvantée devant ce tableau que j’évoque, une résistance invincible s’élève dans l’âme la plus croyante, et lui fait affirmer malgré elle que sans doute un tel événement est bien possible dans un temps inconnu, à une époque indéterminée, en quelque sorte à une date surnaturelle, mais que jamais nous ne verrons rien de semblable dans le monde positif et réel que nous habitons.

Si à ces résistances instinctives de l’imagination vous ajoutez les habitudes de l’esprit scientifique, qui essaie toujours, autant qu’il est possible, de substituer des causes naturelles aux causes surnaturelles, si vous considérez le principe philosophique de la continuité, principe entrevu par Aristote, érigé en loi par Leibniz, et qui semble nous conduire à ne voir entre toutes les formes spécifiques que des différences de degrés, si vous considérez encore le principe de l’unité de type, proposé par Geoffroy Saint-Hilaire, et qui partage avec le principe contraire de Cuvier les tendances des naturalistes, si vous étudiez enfin les trans-

  1. Cependant faut-il rejeter comme absolument impossible l’hypothèse d’une communication extérieure de la vie? On a trouvé récemment des matières organiques dans des aérolithes. Qui sait si ce ne serait point par des moyens semblables que la vie s’est introduite dans notre système?