Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou répondre directement et les textes à la main aux prétentions de la science nouvelle, ou se résigner à la nécessité des temps en les acceptant. On sait qu’après avoir maintenu par tous les moyens le dogme contre les révélations des sciences physiques, elle a fini par leur faire une place dans ses textes, grâce aux ressources d’une habile et ingénieuse interprétation. En devrait-il être de même pour les révélations des sciences historiques et psychologiques? Jusqu’ici la théologie a tenu ferme, et il faut s’attendre à ce qu’elle oppose aux nouvelles prétentions de la science une résistance d’autant plus forte et plus longue que ces révélations n’ont pas tout à fait l’irrésistible autorité des découvertes scientifiques, quel qu’en soit d’ailleurs le degré de clarté et de rigueur démonstrative; mais nous ne désespérons pas, vu les progrès croissans des sciences morales et historiques, que la critique n’amène peu à peu la théologie à ouvrir ses textes aux principales conclusions qu’elle a posées, toujours grâce aux mêmes procédés de libre interprétation. De même que la théologie accepte le mouvement de la terre, la période neptunienne et les déluges partiels, la théorie des époques de la création, l’immensité des cieux peuplés d’un nombre infini de mondes solaires, en faisant remarquer que la sagesse divine a dû descendre à la portée des premiers hommes et leur parler un langage qu’ils pussent comprendre, de même ne pourrait-elle pas accepter un jour d’aussi bonne grâce certaines explications historiques et psychologiques de la critique touchant les symboles, les mythes et les mystères de la foi? Alors l’empire du surnaturel, réduit de plus en plus par les progrès de la raison humaine, verrait passer à la science ses dernières provinces, que la théologie garde encore avec une si héroïque fermeté. Après avoir perdu les vastes domaines de la nature, il est visible qu’elle est en train de perdre les domaines plus obscurs de l’histoire, et que le moment n’est pas très éloigné où il Ibi faudra céder ces profonds et intimes domaines de la conscience qui sont ses derniers retranchemens. Il est sans doute un parti de théologiens qui résistera toujours à l’expérience historique et morale, comme il a résisté à l’expérience physique; mais, dans cette lutte obstinée contre la loi du progrès, garderont-ils en psychologie, en morale, en histoire, la direction de la pensée moderne qui leur a échappé en astronomie et en physique? Le passé semble répondre ici de l’avenir.


ETIENNE VACHEROT.