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forces naturelles qu’elles ont personnifiées. Or le Bulgare a bien aperçu que, sous les formes ondoyantes des vapeurs qui enveloppent l’univers, se cache une puissance aux bras innombrables qui travaille perpétuellement à faire rentrer les individus dans le torrent de la vie universelle. De là l’hostilité que montrent des samovilas, dignes sœurs des « dieux jaloux, » contre les manifestations les plus brillantes de l’existence individuelle. Neda va boire au pied de la montagne « l’eau fraîche » de la fontaine, et elle foule aux pieds les fleurs de la samovila, — de la samovila habitante du bois. — Vient à elle la samovila, — la samovila du bois : — Donne-moi, Neda, tes yeux noirs. — Un autre chant est plus explicite encore.


« Marko se promena dans un bois verdoyant, il s’y promena trois jours et trois nuits, — et il ne put trouver d’eau, — ni pour boire ni pour se laver, — ni pour lui ni pour son rapide coursier. — Et Marko Kraliévitch parla ainsi : — forêt, forêt de Dimna, — où as-tu de l’eau pour que je boive ? — Tu n’en as pas pour que je boive ni pour que je me lave. — Oh ! que le vent t’anéantisse ! oh ! que le soleil te brûle ! — La forêt de Dimna répondit à Marko : — Marko, brave guerrier, — ne maudis pas la forêt de Dimna ; — mais maudis la vieille samovila, — qui a pris les soixante-dix fontaines, — et les a portées au sommet du mont. — Elle vend un verre d’eau, — un verre d’eau pour des yeux noirs… »


Dans un autre chant, la haine contre le culte nouveau semble chez la samovila se joindre à la haine contre l’homme.


« La blonde Stana se leva — le matin du veligden (Pâques, de velik, grand et den, jour) ; — elle changea de vêtemens et se para — pour aller de bonne heure à l’église. — La mère cria à Stana : — Allons, Stana, chère fille, — ne va pas de bonne heure à l’église. — À l’église il y a beaucoup de clercs, — ils se mettront à te faire la cour, — et l’église s’écroulera. — La blonde Stana s’irrita, — elle prit son voile blanc, — elle alla dans le jardin, — et s’assit sous un rosier. — Quand elle leva son voile, — vint la samovila, — la samovila du bois, — du bois d’au-delà de la mer. » — Elle demande à Stana son blanc visage, ses yeux noirs, son cou blanc, et, sans accepter les cadeaux que la jeune fille lui proposait, la samovila s’irrita, — « elle lui arracha ses yeux noirs, — sépara ses blanches mains de l’épaule, — ses pieds rapides du genou : — Voilà pour toi, ô blonde Stana, — la manière d’aller au veligden, — au veligden, heureux jour ! »

Le chant qui nous montre une samovila construisant une ville sur les nuées fait comprendre le parti que ces nymphes farouches