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semées de jardins. Le Common, ce beau parc que le temps a respecté, mais qu’entourent aujourd’hui des rues magnifiques, était encore un vrai terrain communal livré au libre pâturage. Cependant cette ville si paisible et si provinciale était déjà le centre de l’activité intellectuelle et le principal foyer politique de l’Union. L’ancienne sévérité puritaine s’était un peu adoucie. Le jeune avocat vit pourtant encore arrêter sur la scène, par ordre du gouverneur Hancock, de malheureux acteurs qui avaient osé ouvrir un théâtre; il contribua lui-même à faire rapporter la loi barbare qui interdisait toutes les représentations théâtrales.

La constitution des États-Unis venait d’être adoptée, la révolution française avait éclaté, et les partis américains, enflammés par les passions qui remplissaient alors le monde entier, commençaient à se diviser sur l’application des principes qui avaient transformé les deux continens. Personne assurément ne songeait en Amérique à nier la souveraineté populaire ; mais les politiques qui avaient le moins de confiance dans la sagesse du peuple et qui étaient le plus pénétrés des difficultés du gouvernement s’efforçaient d’organiser au sein d’une démocratie un système de forces semblables à celles qui se font équilibre dans l’antique constitution anglaise. Ils désiraient opposer aux passions de la multitude un pouvoir exécutif armé d’une puissante prérogative, à la souveraineté du nombre celle des états. Les démocrates au contraire, moins doctrinaires, plus affamés de grandeur nationale, plus confians dans le peuple, voulaient entraver le moins possible l’exercice de sa volonté. Ils craignaient que l’unité nouvelle ne fût compromise, si l’on accordait aux divers états des privilèges constitutionnels trop importans ou trop nombreux. Les premiers, sans l’avouer, gardaient pour idéal la constitution anglaise; les seconds, qui étaient non-seulement des ennemis, mais des contempteurs de l’Angleterre, embrassaient avec ardeur les idées de la révolution française. Par son éducation universitaire, par sa famille, par les idées qu’il avait contractées dans la société de Boston, en tout temps un peu aristocratique et intolérante, Quincy se trouva naturellement poussé du côté des fédéralistes. Il épousa leur cause avec la fougue raisonnée qui était dans son tempérament. Il fit le voyage de New-York pour lier connaissance avec Alexandre Hamilton, qui était alors l’âme du parti. La conversation, à la table d’Hamilton, tomba un soir sur Aaron Burr, son rival implacable. Quincy demanda si Burr était un homme de grand talent. « Non, répondit Hamilton, son esprit est brillant, mais sans profondeur, incapable de grandes vues ou d’un continuel effort; mais, ajouta-t-il en décrivant du doigt un cercle autour de sa tête, il a une ambition qui ne sera satisfaite que quand il aura mis sur