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et apprend qu’elle va prochainement quitter Boston. Il la revoit tous les jours, prend au hasard quelques renseignemens sur son compte, et au bout d’une semaine ils sont secrètement fiancés; cinquante années de bonheur non interrompu sont la meilleure excuse qu’on puisse donner d’une telle précipitation. L’engagement, pour se servir du mot anglais, resta secret pendant deux ans, et ce fut seulement au bout de ce temps que Quincy le révéla à sa mère. Elle avait peut-être le droit d’être offensée de ce long silence; mais, bien qu’elle n’eût jamais vu miss Morton, elle ne mit aucune opposition au mariage, et reçut sa nouvelle fille dans sa maison. Le bonheur de Quincy fut bientôt cruellement interrompu : du même coup sa femme, qui était sur le point d’accoucher, et sa mère, tombèrent malades. Il allait du lit de la seconde à celui de la première, à qui le médecin lui avait interdit de laisser paraître aucune inquiétude. Mme Quincy la mère fut rapidement emportée par la maladie; ses funérailles se firent en cachette, et le malheureux fils dut continuer assez longtemps à paraître devant sa femme en poudre et sans porter des vêtemens de deuil.

La mort de celle qui, suivant ses expressions, avait été pour lui « mère et père, sœur et frère, une combinaison de toutes les affections humaines, » ne rejeta néanmoins qu’un instant Quincy dans l’obscurité de la vie privée. Les événemens l’en tirèrent violemment. Entre la France et l’Angleterre, les États-Unis étaient comme entre l’enclume et le marteau. Talleyrand, retourné en France, répétait au directoire que la république américaine pouvait être traitée avec aussi peu de cérémonie que Gênes ou que Venise; aussi le directoire ne lui épargnait-il aucune insulte. Irrité du triomphe des fédéralistes, qui avaient réussi à porter Adams à la présidence, le gouvernement français saisit et confisque les navires américains sous les moindres prétextes et accuse incessamment l’Union de violer la neutralité. Il ordonne qu’on traite comme pirates les matelots américains trouvés à bord des navires anglais, même s’ils déclarent qu’ils sont des victimes de la presse. Il oppose au commerce des États-Unis les entraves les plus gênantes, et rend la neutralité de plus en plus difficile et plus onéreuse. Le président Adams envoie à Paris Pinckney, Marshall et Gerry, pour essayer de s’entendre avec le directoire. Toutes les ouvertures sont repoussées, et bientôt les deux républiques sont à la veille d’en venir aux armes.

C’est au milieu de cette agitation que Quincy fut choisi par les fédéralistes comme candidat au congrès à l’élection du mois de novembre 1800. Il n’avait encore que vingt-huit ans. Il obtint la majorité à Boston; mais son adversaire triompha, grâce aux villages