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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/369

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Jefferson, ennemi déclaré de la guerre, avait imaginé contre l’Angleterre un genre nouveau d’hostilités pacifiques : aux prétentions et aux brutalités de la Grande-Bretagne, il opposa un système d’inertie et de restrictions commerciales. Défense fut faite à la marine américaine d’entrer dans les ports de l’Angleterre et de transporter ses produits. Cette prohibition pouvait amener la guerre; aussi les fédéralistes demandèrent avec instance qu’on fît quelques armemens. Quincy prononça sur cette question son premier discours important le 15 avril 1806. Il parla au nom des populations de la Nouvelle-Angleterre, dont les côtes, semées de villes nombreuses, allaient être laissées sans défense; il dénonça l’égoïsme des députés du sud, qui, protégés dans les solitudes de l’intérieur, ne voulaient rien faire pour la protection des états du nord. L’hostilité entre les deux grandes sections de l’Union, cette hostilité que nous avons vue éclater récemment et qui couvait déjà en 1806, ne tirait pas alors sa raison nominale de l’esclavage; mais dès cette époque l’esclavage en était la cause, car il avait fait des états du sud des provinces purement agricoles, tandis que ceux du nord s’adonnaient au commerce et à l’industrie. De là étaient nés des intérêts différens, sinon hostiles. Il était impossible que la Nouvelle-Angleterre se résignât patiemment à un système politique qui tirait de son commerce tous les revenus de l’état et qui cependant refusait de défendre le commerce.

La session terminée, Quincy retourna dans sa petite terre du Massachussetts. Nous l’y trouvons occupé à étudier le droit des gens, plongé dans Grotius, Puffendorf, dans les Quœstiones juris publici du Hollandais Bynkershoek. Il ne se repose qu’en lisant le de Officîis de Cicéron. Les événemens prêtaient un intérêt nouveau aux arides études du droit international. La victoire de Trafalgar avait assuré la suprématie de l’Angleterre sur les mers, et sa conduite envers les neutres avait atteint les dernières limites de l’insolence et de l’injustice. Napoléon avait signé les fameux décrets de Berlin; il avait bloqué sur le papier les îles britanniques, et défendu à toutes les nations de commercer avec ses ennemis. Les États-Unis eux-mêmes n’avaient pas été soustraits par leur neutralité au système du blocus continental; toute marchandise anglaise, sous quelque pavillon qu’elle fût transportée, était déclarée de bonne prise. Peu après le gouvernement anglais répondit par les ordres du conseil, qui prohibaient tout commerce direct avec la France ou ses colonies, et imposait aux navires qui se livreraient à ce commerce l’obligation de toucher à un port anglais. À ces ordres, par lesquels l’Angleterre s’arrogeait le monopole commercial. Napoléon répondit par le décret de Milan, et déclara de bonne prise tout navire qui se soumettrait aux règles anglaises. Depuis le commencement de la guerre,