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ne se soucier d’autres moutons que de ceux qui étaient tenus sur le pont d’un vaisseau pour être mangés, à ne regarder la terre que comme un refuge contre la tempête; mais en général son ironie était plutôt tragique. Tous ses discours ont un ton noble et grondeur; jamais la raison haute, la sagesse un peu raide et pédante des fédéralistes, n’avaient trouvé une plus complète expression.

Avant de s’ajourner, le congrès vota une loi qui autorisait le président à suspendre l’embargo, si la paix était conclue en Europe, ou si les puissances belligérantes donnaient des garanties sérieuses aux neutres. Ces espérances ne furent point réalisées, et les effets de l’embargo ne répondirent point à l’attente des démocrates. Cette mesure assura seulement le monopole de l’Angleterre, qui, depuis l’invasion de la péninsule par Napoléon, s’était emparée de tout le commerce de l’Espagne, du Portugal et de leurs colonies. Le ministère anglais avait refusé de retirer les ordres du conseil, et Canning avait donné à son refus la forme la plus hautaine et la plus blessante. Napoléon avait au contraire accueilli l’embargo avec faveur, et, pour faire mine de mieux se prêter aux intentions du gouvernement américain, il avait ordonné, le 17 avril 1808, par le décret de Bayonne, de saisir dans les ports français tous les vaisseaux américains qui pourraient s’y trouver, en dépit des remontrances de l’envoyé américain, le général Armstrong. On répondit à ses protestations que nul vaisseau américain n’avait dû prendre la mer après l’embargo, et que tous ceux qui portaient encore le pavillon américain étaient des navires anglais déguisés que le décret de Milan permettait de confisquer.

La guerre contre l’embargo continua pendant la session suivante. Les discours de Quincy soulevèrent une véritable rage dans le camp démocratique. Il montrait Jefferson entre l’Angleterre, qui défendait aux États-Unis de commercer avec la France, et la France, qui leur défendait de commercer avec l’Angleterre, obéissant à l’une et à l’autre interdiction et servant à la fois George et l’empereur. Dans la session précédente, un fédéraliste nommé Gardenier avait été provoqué en duel par un démocrate nommé Campbell et blessé très gravement. Quincy pouvait chaque jour s’attendre à quelque outrage, mais nulle crainte ne l’arrêtait. Il avait des audaces très heureuses : à un maître d’esclaves du sud qui lui reprochait de ne parler qu’au nom de gens qui faisaient « du bœuf et du porc, du beurre et du fromage, des pommes de terre et des choux, » il répondait qu’il en était plus fier que s’il représentait des producteurs de coton, de riz et de tabac, car « tout ce que produisent ceux que je représente, ils l’obtiennent par leur propre travail et à la sueur de leurs propres fronts. » Le mécontentement public causé par l’embargo amena bientôt des divisions dans le parti vainqueur.