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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/445

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que inconnu, que la ligne d’opération devait avoir cent quarante lieues de long, et qu’il eût été téméraire de s’engager dans les montagnes sans échelonner sur la route parcourue des postes militaires assez considérables pour sauvegarder les communications en arrière du corps d’armée principal. Il était plus prudent de mettre assez de soldats en ligne pour qu’il n’y eût aucun revers à redouter. Le commandement en chef était dévolu à sir Robert Napier, qui porte avec honneur et modestie un nom illustre dans l’armée anglaise. Cet officier-général, qui appartient au corps des ingénieurs militaires, a gagné ses grades dans l’Hindoustan, en Perse, en Chine. C’était une innovation, paraît-il, que de confier un grand commandement à un officier du génie; le gouvernement britannique n’aura pas eu lieu cette fois de s’en repentir. Au reste, rien n’était plus sage que d’emprunter à l’armée indienne les élémens de l’armée d’Abyssinie, car l’administration de cette colonie est plus familiarisée que celle de la métropole avec les questions relatives à l’équipement, au transport et au ravitaillement des troupes dans les pays chauds. La question des transports était sans contredit la plus importante. On emmenait une quarantaine d’éléphans et quelques chameaux; mais on n’osait trop compter sur ces animaux, auxquels les sentiers de montagnes ne conviennent pas. La mule était mieux appropriée au pays; aussi avait-on expédié dès le début des officiers en Syrie, en Égypte, en Espagne, et on s’était procuré 12,000 de ces bêtes de somme; il ne restait plus qu’à les transporter à grands frais sur les côtes de la Mer-Rouge.

Le 3 octobre 1867, l’avant-garde, sous les ordres du colonel Merewether, arrivait dans la baie d’Annesley, et après un examen minutieux de la rade, le point de débarquement ayant été choisi, le premier soldat anglais mettait pied à terre sur la côte d’Abyssinie. La saison des pluies venait de finir, et elle devait recommencer au mois de mai; dans cette période de sept ou huit mois, il fallait que l’expédition eût accompli son œuvre. Le camp de Zullah n’avait rien d’attrayant. Les navires ne pouvaient approcher qu’à un kilomètre de la plage; dès le premier jour, il fallut se mettre à construire une estacade de plusieurs centaines de mètres de long pour faciliter les déchargemens. Il n’y avait pas de vivres à terre, si ce n’est ceux que la flotte avait apportés; pas d’eau non plus, si ce n’est dans quelques mauvais puits et dans les soutes des navires. Par bonheur, il y avait à bord des appareils distillatoires que l’on fit fonctionner sans cesse pour fournir l’eau nécessaire aux hommes et aux animaux, et peu de jours après, dès que les environs du camp eurent été inspectés, on put envoyer la cavalerie et la plupart des bêtes de somme à Koumaïli, à deux ou trois heures de marche