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monarque vaincu, aider ce malheureux royaume à sortir de l’anarchie. Cette guerre, quelque glorieuse qu’elle ait été pour l’armée qui y a pris part, cette guerre se termine sans résultat effectif pour la nation qui l’a entreprise. L’Angleterre s’est vengée, voilà tout. Elle ne retire de sa vengeance aucun avantage qui compense les 5 ou 6 millions de livres sterling qu’elle y a dépensés. Le devoir d’humanité envers les malheureuses peuplades dont on foulait le territoire n’a pas non plus été pris en considération un seul instant. Après le départ des Anglais, le sort des Abyssins, débarrassés d’un détestable tyran, est aussi incertain que jamais. Encore peut-on dire que la conduite de Théodore, dont les derniers jours n’ont point été sans grandeur, eût peut-être été autre, s’il avait été traité dès le début avec plus d’égards. On peut objecter, il est vrai, qu’un empire ou une monarchie centralisée ne convient pas à ces barbares, et qu’au degré bien bas de civilisation où ils sont restés le régime féodal est mieux leur fait. Eh bien ! il y a dans le pays les élémens d’une telle solution ; mais les Éthiopiens auraient besoin d’un appui étranger pour éviter de retomber dans l’anarchie. Trois princes, on l’a vu, sont en position de se partager les débris du roi des rois de l’Éthiopie, Menilek dans le Choa, Kassa dans le Tigré et le waagchum Gobhésié dans la région centrale de l’Amhara. Livrés à eux-mêmes, ne vont-ils pas se combattre au lieu de s’entendre ? L’étranger seul profiterait de leurs divisions. Ce ne serait pas l’Angleterre, pas plus qu’aucune autre nation européenne, qui prendrait leur place. Deux peuples musulmans, les Gallas au sud, les Turcs au nord, convoitent ces montagnes. Or l’histoire nous apprend que les succès des mahométans, partout où ils ont triomphé, n’ont été avantageux ni pour les indigènes des pays conquis, ni pour les intérêts européens. Il serait regrettable que le résultat définitif de la guerre des Anglais en Abyssinie fût de favoriser les progrès du mahométisme sur une terre qui a su lui résister si longtemps.


H. BLERZY.