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Vienne pour la première fois, elle m’a causé, je l’avoue, une vive émotion, tant mon ignorance de ces choses était complète. Pendant mon voyage, elle ne m’a pas quitté, et m’a donné la clé de plus d’un problème. Voici ce que j’y vois. Les Allemands occupent à l’ouest le Tyrol non italien, les deux duchés d’Autriche, la Styrie, les cantons extérieurs de la Bohême, où déjà ils se mêlent avec les Tchèques, et la Carinthie, où les Slovènes sont à peu près en nombre égal ; puis apparaissent, comme des îles perdues au milieu des mers de populations différentes, les colonies allemandes fondées à différentes époques en Moravie, en Hongrie, dans les comitats de Zala, de Somogy, de Pesth, de Sohl, dans le Banat, et surtout en Transylvanie, où elles forment encore un groupe important et compacte. Les Roumains s’étendent sur un territoire grand environ comme l’Italie, très bien arrondi, mais sans limites naturelles, embrassant la Transylvanie, une lisière de la Hongrie, la Moldo-Valachie et la Bessarabie russe. Ils sont en tout environ 8 millions. Les Magyars, pressés entre les trois autres races, sont groupés sur la vaste plaine qui se déroule des deux côtés de la Theiss et à l’ouest du Danube entre la Raab et la Save.

Les Slaves enfin dominent sur d’énormes espaces. Tirez une ligne qui, partant de l’Adriatique vers Monfalcone, à l’ouest de Trieste, remonte vers le nord avec l’Isonzo, suit alors la Drave, la Mur, la Drave encore et le Danube jusqu’à la Mer-Noire : au-dessous de cette ligne, en Autriche, la Carniole, l’Istrie, une partie de la Carinthie et de la Styrie, la Croatie, la Dalmatie, la Slavonie, ensuite la Bosnie, la Serbie, la Bulgarie, la Roumélie, c’est-à-dire presque toute la Turquie d’Europe, appartiennent aux Slaves méridionaux. Ils touchent aux frontières du Lombard-Vénitien ; qu’ils ébrèchent même vers l’est d’Udine. Tous les beaux ports de la côte dalmate, depuis Trieste jusqu’à Antivari, sont à eux, et d’autre part ils approchent de Constantinople. Les Slaves du nord commencent à Pilsen, vers les montagnes du Bôhmer-Wald, c’est-à-dire aux frontières de la Franconie, prennent ensuite tout le centre de la Bohême, la Moravie, la Galicie, débordent au-delà des Karpathes en Hongrie, où ils occupent tous les comitats du nord, et enfin, suivant la rivière Sereth et le Dniester comme limite méridionale, arrivent à la Mer-Noire vers Odessa. La race slave, appuyée sur la masse de l’empire russe, s’avance ainsi jusqu’au centre de l’Europe, embrassant entre ses deux bras étendus vers l’Occident les Valaques, les Hongrois et les Allemands de l’Autriche. Sur la carte, cela fait l’effet des deux puissantes mandibules d’une mâchoire ouverte, mais à moitié refermée déjà. C’est une des douleurs des slavomanes que les Magyars soient venus séparer comme par un coin les Slovaques