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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/537

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résolutions de 1848, au moment même où ils se posaient en apôtres de la liberté. En Amérique, Kossuth a répété plusieurs fois dans ses discours qu’il avait commis une grande faute en ménageant trop les Slaves[1]. Nous espérions que l’Autriche nous défendrait. Pour conserver l’unité de l’empire, nous avons versé notre sang à flots. On vous parlera des vingt mille veuves des confins militaires, et ce n’est pas exagéré. Aujourd’hui, après avoir coupé l’empire en deux, on nous livre à la merci de ces mêmes Hongrois qu’on nous a fait égorger autrefois.. On nous accuse d’être partisans de la Russie. Il faut s’entendre : nous ne désirons point du tout être soumis au régime russe ; nous voulons jouir de toutes les libertés modernes, et nous croyons notre pays assez sage pour en faire un bon usage. Nous admirons le patriotisme des Hongrois, leur éloquence, leur bravoure ; nous suivons avec intérêt les efforts qu’ils font pour le développement de leur littérature, de leur industrie, de leurs libres institutions. Nous n’oublions pas que pendant huit siècles nous avons partagé la même destinée dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Nous sommes toujours prêts à leur tendre une main fraternelle ; néanmoins, s’ils essaient encore de nous ravir notre nationalité, qu’ils prennent garde à eux. Nous sommes un petit peuple, mais nous appartenons à une grande race. Plutôt que de nous laisser enlever notre langue et notre caractère propre, c’est-à-dire ce qui est notre génie, notre sang, notre vie, nous nous jetterions dans les bras de la Russie, cela est vrai, car la liberté politique, nous finirions toujours par la conquérir, tandis qu’une nationalité morte ne ressuscite pas. Il dépend des Magyars de ne point nous pousser à cette extrémité ; qu’ils accordent à Agram ce que Pesth a obtenu de Vienne, et nous serons les défenseurs les plus dévoués de la couronne de saint Etienne. Sinon, voyez la statue élevée à Jellachich sur la grand’place de notre capitale Zagreb, qu’à la suite des Allemands vous appelez Agram. Le cheval du ban se dirige vers le nord, et Jellachich, de la pointe de son épée, montre les plaines de la Hongrie. C’est le chemin que suivraient

  1. Il est possible qu’en Amérique Kossuth ait dit quelques mots dans ce sens en faisant allusion aux excès commis par les régimens-frontières ; mais, pour être juste, il faut constater que dans tous ses discours il s’est montré favorable au développement de la nationalité croate. « Ce n’est qu’à la condition d’avoir pour voisine une Hongrie libre que les Slaves du sud peuvent espérer un libre développement de leurs individualités nationales, lesquelles nous, Hongrois, nous désirons voir surgir, et auxquelles nous sommes disposés à prêter aide et assistance. La Hongrie est le boulevard de l’Europe contre le panslavisme, mais elle est aussi l’alliée naturelle des nationalités croate, serbe et valaque ; de même, sans une Hongrie libre, jamais la Pologne et la Bohême ne pourront reconquérir leur nationalité perdue. » Telles sont les remarquables paroles prononcées par Kossuth en 1858 en Angleterre.