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qui est encore à peu près le régime en vigueur dans ce pays. De la joupanie de Zêta, près du lac d’Ochrida, sortit enfin une famille qui eut assez de vigueur et d’esprit de suite pour réunir les autres joupanies sous sa loi. Ce fut celle des Nemania. Etienne Nemania établit la forme monarchique. Après avoir conquis toute la péninsule jusqu’à la Save et au Danube, sauf le petit territoire conservé par l’empire byzantin, il mourut tsar de l’empire serbe en 1195. Le tsarat de Serbie parvint à l’apogée de sa puissance sous Etienne Douchan, surnommé Silni, le Fort. Ce grand homme soumit l’Albanie, la Macédoine, battit les Hongrois, fortifia Belgrade, donna un excellent code de lois à ses peuples, fit régner partout la sécurité, encouragea les arts, et voulut enlever Byzance à ses maîtres dégénérés, afin de défendre, au moyen de ses vaillans guerriers, le Bosphore et toute la péninsule contre les Turcs, déjà établis à Brousse. Après sa mort, survenue en 1356, à un jour de marche de Constantinople, l’anarchie éclata entre les grands vassaux. Le tsar Lazar, trahi par Vouk Brancovitch, perdit la bataille de Kossovo (1389), qui livra l’empire serbe aux Turcs, comme Mohacz devait leur donner la Hongrie.

La défaite de Kossovo a été un malheur immense pour l’Orient. La domination turque a arrêté net le développement de la civilisation yougo-slave, qui au XIIIe siècle n’était pas inférieure à celle de l’Europe centrale. La Serbie entretenait un commerce important avec l’Italie par ses ports de la côte illyrienne. Des villes florissantes s’étaient élevées là où il ne reste plus aujourd’hui que de misérables hameaux. Des manuscrits, des bijoux, des monnaies, des églises encore debout, prouvent que la culture des arts avait pénétré dans le pays, parcouru dans tous les sens par les marchands étrangers. Les tsars de la dynastie des Nemanides épousaient des filles des patriciens de Venise, des rois de Hongrie et des empereurs de Constantinople. C’est cette antique civilisation serbe que les Yougo-Slaves veulent faire renaître en effaçant toutes les traces du sanglant et lamentable épisode de la domination du croissant. Un travail profond s’accomplit chez toutes ces populations, demeurées courbées sous le joug affaibli, mais maladroit et lourd, des pachas. Le sentiment national les a réveillées ; les mêmes espérances les unissent. Les Bulgares tendent la main aux Serbes, et les indomptables Monténégrins aspirent à se joindre à eux. Malgré certaines nuances de dialecte, tous se comprennent. En Bosnie, les Slaves mahométans tiennent plus à leur race qu’à leur culte, et sont les ennemis les plus impatiens des Osmanlis. Le clergé national se dérobe à l’influence démoralisante des évêques phanariotes que la Porte leur impose. Les paysans mêmes se montrent avides