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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/548

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à en empêcher le triomphe final ; elle ne réussirait qu’à s’aliéner ses Slaves à elle, qui n’attendront que l’occasion de se joindre à leurs frères de l’autre côté de la Save, fût-ce avec l’appui de la Russie. Pour éviter cette funeste extrémité, elle est obligée, malgré elle peut-être, de favoriser le mouvement national des Slaves méridionaux en Croatie d’abord, au-delà du Danube ensuite. Serait-elle donc amenée alors à inquiéter le gouvernement turc et à pousser ses sujets chrétiens à la révolte ? Aucunement. Il suffit de mettre plus à la portée de ceux-ci tous les élémens de la civilisation, l’instruction, les livres, les chemins de fer et les connaissances pratiques qui rendent le travail plus fructueux. Ce qui assure l’affranchissement de ces populations, c’est que leur cause se confond avec celle de la civilisation moderne, et qu’il faudrait anéantir celle-ci pour maintenir leur asservissement.

La Hongrie doit abandonner la vieille politique de l’Autriche, qui fut longtemps aussi celle de l’Angleterre, et qui consistait à comprimer le développement des raïas de la Turquie pour éviter la dislocation de l’empire ottoman. Cette politique, à laquelle lord Palmerston et lord Stratford de Redcliffe se sont dévoués avec une énergie et une obstination sans pareilles, est aujourd’hui condamnée par tous les hommes d’état anglais qui savent prévoir l’avenir, et par tous les voyageurs anglais qui récemment ont visité cette région. Le ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne, lord Stanley, résumait naguère de la façon la plus nette les idées qui ne tarderont pas à prévaloir à ce sujet en Angleterre. « Je ne puis m’expliquer que par l’empire qu’exercent d’anciennes traditions diplomatiques la résolution de nos vieux hommes d’état de soutenir toujours les Turcs, qu’ils aient tort ou raison. Nous nous faisons des ennemis de races qui avant peu domineront en Orient. Je pense que nous arrêtons ainsi le progrès de contrées dont l’amélioration profiterait à nous, qui sommes les grands commerçans du monde, plus qu’à tout autre pays. Il m’est impossible de voir l’avantage actuel ou futur que nous pouvons retirer de notre conduite. » Je n’insisterai pas sur ce point, que M. Saint-Marc Girardin a développé dans la Revue avec un éclat et une abondance d’informations qui dispensent d’y rien ajouter.

J’en veux seulement conclure que dans la question d’Orient la Russie est la seule puissance dont la politique ait été intelligente, suivie, prévoyante, et, pourquoi ne pas le dire ? humaine. Elle n’était pas désintéressée, objectera-t-on. Je l’admets ; mais en accusant ses visées ambitieuses croit-on effacer le souvenir des services qu’elle a rendus ? La Russie envoie aux Serbes, aux Bulgares, aux Bosniaques, aux Monténégrins, des souscriptions pour bâtir des églises et