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de la France gallicane. Quel catholique, quel chrétien, quel homme droit et impartial oserait désormais le blâmer, si, réduit à toute extrémité, violemment dépouillé de son patrimoine, promené de ville en ville comme un prisonnier vulgaire, et matériellement privé de toute communication avec le troupeau dont il était le pasteur, il déclarait ne pouvoir en suffisante connaissance de cause donner immédiatement l’institution canonique aux évêques choisis par son persécuteur ? Son bon droit n’était-il pas évident, aussi évident aux yeux de tous que l’était à ses propres yeux l’impérieuse obligation de se servir des armes spirituelles remises en ses mains ? Il n’hésiterait donc plus. Étrange résultat des violences de l’empereur, résultat inattendu pour lui, quoique trop facile à prévoir, il se trouvait avoir définitivement fortifié contre lui-même l’adversaire qu’il croyait avoir réduit à néant, car entre eux il n’y avait plus désormais d’intérêts temporels à débattre, et la supériorité de ses forces matérielles devenait en quelque sorte inutile pour lui. Dans les questions qui leur restaient à régler, où la religion, la bonne foi et l’équité naturelle étaient seules intéressées, il avait mis tout le désavantage de son côté.

Quels que fussent l’excès de sa passion et sa confiance démesurée en lui-même, Napoléon avait infiniment trop de clairvoyance pour n’avoir pas compris qu’après la prise de Rome, l’assaut donné au Quirinal et la séquestration du pape à Savone, il ne rencontrerait plus dans la conscience des catholiques de son empire la même adhésion et le même concours qu’à l’époque où. s’étaient produites les premières difficultés avec le pape au sujet de l’institution canonique des évêques italiens. Autant il avait mis alors de précipitation et de colère dans la manifestation de son mécontentement, autant il jugea maintenant politique d’user, au début du moins, de douceur et de longanimité. Au mois de juin 1809, lorsque Pie VII résidait encore à Rome, M. Bigot de Préameneu lui avait adressé par ordre de l’empereur un long mémoire détaillé sur les inconvéniens qui résultaient de la viduité de tant de sièges épiscopaux en France, et s’était plaint doucement de la répulsion que témoignait sa sainteté à donner les bulles d’institution canonique aux sujets choisis par le chef de l’état[1]. Si les instances du ministre des cultes étaient vives, l’expression en était toutefois extrêmement respectueuse. Le ton des nouvelles communications impériales ne rappelait en aucune façon celui des anciennes lettres qu’en 1807 Napoléon avait dictées au prince Eugène à l’occasion du refus des bulles aux évêques nommés d’Italie. Lorsque ce mémoire du ministre des

  1. Lettre de M. le comte Bigot de Préameneu, ministre des cultes, à sa sainteté Pie VII, 7 juin 1809.