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I.


L’art chrétien, dès le premier jour de son existence, portait en lui-même un germe vivace et indestructible de paganisme. Ce germe ne s’est épanoui dans toute sa richesse qu’au souffle de Raphaël ; néanmoins l’éclosion en avait été préparée par un travail tantôt lent et souterrain, tantôt prompt et manifeste, mais pendant douze siècles jamais interrompu. L’auteur des Trois Grâces, de Galatée et de Psyché n’avait donc, pour réintégrer la beauté physique dans sa dignité, ni à briser la tradition chrétienne, ni à ramener l’homme en arrière jusqu’au culte exclusif de la nudité. Sa tâche, clairement indiquée, était d’opérer le rapprochement définitif de deux forces esthétiques admirablement fécondes, qui, depuis notre ère, s’appelaient, se cherchaient et ne demandaient qu’à se confondre. Pendant quatre cents ans et au-delà, l’humanité put comparer la foi nouvelle, qui grandissait chaque jour, avec la vieille idolâtrie, qui défendait, non sans courage, les restes de son influence. Elle vit l’idée chrétienne faire aux antiques croyances de nombreux et larges emprunts ; elle y applaudit, car elle avait présente à la mémoire la beauté rayonnante dont l’art avait revêtu les dieux d’Homère, qu’elle délaissait. Elle pensait avec raison que cette beauté est immortelle et divine. Du règne de Néron à celui de Léon X, une série ininterrompue d’artistes s’est efforcée d’abord de la retenir et de l’imiter aussi longtemps qu’elle fut visible et présente, puis de la ressaisir au milieu des ténèbres épaisses qui l’enveloppaient, et enfin, quand elle eut reparu à la lumière, de s’en inspirer et de l’égaler.

Tandis que la forme idéale semblait se dérober chaque jour davantage aux artistes asservis de la Rome impériale, elle brillait toujours fraîche et inaltérable dans les monumens des grands siècles de la Grèce. C’est là que les peintres inconnus des sanctuaires souterrains allèrent la recueillir pour en décorer les objets de leurs adorations et de leurs hommages. Les murs des tombeaux récemment découverts sur la voie Latine, les chambres principales de la catacombe de saint Calixte, présentent la fusion délicate du goût païen et de l’inspiration chrétienne. L’antique symbolisme a disparu ; la beauté qui l’exprimait est presque restée, éclairant de son auréole un autre Dieu entouré d’un cortège bien différent. À Jupiter et à sa cour olympienne a succédé le bon Pasteur au milieu de ses brebis ; mais le bon Pasteur a quelques-uns des traits de la beauté d’Apollon, il en a le port élégant, la taille svelte, les traits purs, et un regard attentif aperçoit l’harmonie qui déjà tente de s’établir entre