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mis la fière beauté des marbres grecs dans son Néron ordonnant le supplice de saint Pierre et de saint Paul ? La seule réserve qu’il soit juste de faire ici, c’est que, malgré la puissance des aspirations qui les entraînaient vers la beauté physique pleine, florissante, parfaite, ces maîtres demeurèrent fort en-deçà du but de leurs efforts. Leurs successeurs continuèrent la route commencée ; mais avant Raphaël quelqu’un d’entre eux était-il arrivé jusqu’au terme ? Afin de le savoir, jetons un rapide coup d’œil sur quelques-unes des figures nues d’Andréa Mantegna, celui des peintres du XVe siècle qui a reçu de l’art grec l’empreinte la plus profonde.

Son maître Francesco Squarcione, artiste médiocre, mais homme passionné pour l’enseignement, avait fait, chose rare alors, le voyage de Grèce. Il en avait rapporté une collection considérable de bas-reliefs, de statues, de copies et de moulages exécutés sur place. De retour à Padoue, sa patrie, il avait formé de toutes ces richesses un musée, et dans ce musée ouvert une école où il commentait les modèles en présence de nombreux élèves. Il avait admis à ses leçons un jeune pâtre d’une habileté précoce à manier le crayon, dont il devina promptement le génie et qu’il aima comme un fils. Cet enfant était Mantegna, qui s’éprit bientôt à tel point des merveilles de l’art grec que Vasari a pu dire de lui : « Il ne cessa jamais de croire que les chefs-d’œuvre des artistes anciens étaient plus achevés que la nature. » Quels furent les fruits de cette admiration enthousiaste ? Il est aisé d’en juger au Louvre même, où sont réunies dans une même salle trois remarquables toiles de Mantegna, le Parnasse, la Sagesse victorieuse des Vices, et la Vierge de la Victoire. N’examinons ici que l’allégorie de la Sagesse victorieuse des Vices, où Mantegna s’est servi des formes nues pour traduire une pensée forte et bien définie, et où se manifeste un art parvenu à sa pleine vigueur. Minerve chasse devant elle à coups de lance la cohue des vices humains. La colère dont elle est enflammée n’altère pas sa mâle et superbe beauté. La Philosophie, qui la précède avec la Justice, et qui vole plutôt qu’elle ne marche, lève la main pour souffleter la Volupté, et ce geste est admirable. La Luxure, aux pieds de bouc, fuit à l’approche de Minerve ; mais avec quelle effronterie elle regarde la déesse, avec quelle passion elle presse contre son sein nu sa nichée de Vices nouveau-nés ! Poussés par une puissance irrésistible, les Vices se précipitent dans un cloaque dont les eaux noires sont chargées de végétations malsaines. Ce tableau est d’une audace que le succès pouvait seul justifier, et qui se trouve en effet légitimée. Presque partout les laideurs et les difformités que le peintre y a volontairement entassées y sont compensées par le plus heureux emploi de la beauté plastique, drapée et nue. Ce-