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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/67

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naturel et dont il ignore les délicatesses et les nuances. Il n’en sait pas choisir les mots nobles et purs, il en fausse ou en force les termes. Toutefois il se sert de ce langage, il veut s’en servir, parce qu’il en comprend la force et en devine l’éloquence. Comme la plupart des précurseurs éminens de Raphaël, s’il ne réalise pas tout ce qu’il rêve, il prépare du moins ce qu’il n’accomplit pas.

De ces faits incontestables, il est aisé de tirer la conclusion qu’ils renferment. Quoi que dise ou insinue une certaine esthétique, en 1500 il y avait quatorze siècles que la peinture s’efforçait de ressaisir la belle forme païenne, non pour s’en repaître exclusivement, mais pour en revêtir l’idéal chrétien. Elle avait approché de plus en plus du but désiré ; elle n’y était pas encore. Ce but, Raphaël le toucha, et, après l’avoir touché, aussitôt il le dépassa.


II.


À l’aurore du XVIe siècle, à l’heure même où Mantegna achevait le Parnasse et Pérugin le Combat de l’Amour et de la Chasteté, Raphaël, âgé de vingt ans, essayait dans les libres espaces du ciel païen les ailes déjà fortes de son génie. Autour de lui, tout le poussait à s’y aventurer. La nostalgie du beau visible dont les esprits souffraient depuis plusieurs siècles était devenue une passion impérieuse. Au spectacle excitant des marbres et des bronzes antiques chaque jour exhumés était venue s’ajouter la lecture assidue du Banquet de Platon. Ce livre extraordinaire semblait avoir été composé pour mettre d’accord les brûlantes extases de l’amour et l’austérité de la morale chrétienne. Dès qu’on l’eut retrouvé, ce fut d’un bout à l’autre de l’Italie à qui en apprendrait et à qui en répéterait les passages émouvans. Poètes et érudits, politiques et théologiens, guerriers vaillans et doctes princesses, tantôt le soir dans les riches palais, tantôt le jour sous les ombrages des jardins, tenaient de longs discours dont le sujet était invariablement l’éloge de la beauté physique unie à l’éclat de la vertu ; mais cette divine harmonie de la chasteté et de la passion était bien plus dans les paroles que dans les mœurs et dans les théories que dans les œuvres. Entre les deux puissances qu’on lui demandait de concilier, l’art, — on l’a vu, — ne parvenait pas encore à tenir la balance égale. Cependant l’esthétique sublime du Banquet allait enfin être comprise et pratiquée. Quelqu’un avait-il expliqué à Raphaël le discours où Diotime enseigne à Socrate que, pour s’élever jusqu’à la beauté de l’âme, il faut commencer par contempler de beaux corps ? l’avait-il entendu commenter dans l’une de ces réunions savantes que présidaient ses amis ou ses protecteurs ? On ne sait ; mais