Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/688

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont on pouvait suivre les manifestations depuis le XIe siècle jusqu’au XVIe apparut comme la chaîne qui reliait le christianisme ancien au christianisme nouveau. C’est par cet obscur canal qu’avait certainement passé la tradition primitive. L’illusion fut facile, car les événemens que nous avons rappelés, le voyage de Farel et de Saunier aux Alpes, le concile d’Angrogna, les discussions, les luttes, les résistances du valdisme et enfin sa soumission à l’orthodoxie réformée, toute cette crise de transformation, dont nous nous rendons parfaitement compte aujourd’hui, avait passé inaperçue au milieu des bouleversemens de l’époque. Le passé des sectaires montagnards n’était pas connu exactement. On ne savait alors qu’une chose, c’est qu’ils avaient été rejetés de l’église romaine, excommuniés, persécutés en divers temps et par divers papes ; mais la critique n’avait pas encore passé au crible leurs croyances particulières, leur discipline et leurs mœurs. En quoi ces échappés des bûchers et de l’épée différaient de leurs persécuteurs, en quoi ils leur ressemblaient ; sur toutes ces questions on était fort peu édifié du temps de Luther et de Calvin. Les documens de la littérature vaudoise qui nous les montrent sous leur véritable aspect, c’est-à-dire protestans par certains côtés et catholiques par d’autres, ces documens n’étaient pas encore sortis de la chaumière des Alpes et livrés au public lettré. Personne ne connaissait l’état antérieur de la secte, excepté les deux réformateurs allemands qui étaient entrés en rapport avec elle et les deux Français qui étaient allés la chercher dans ses retraites, qui l’avaient dépouillée de son enveloppe moitié catholique, moitié protestante, et lui avaient donné la robe sans tache de la réformation. Quand elle fit son entrée solennelle au banquet sous son vêtement nouveau, les autres crurent qu’elle l’avait toujours porté, que cette « briève confession » qui éclatait sur les Alpes était l’explosion providentielle de la foi ancienne et du culte ancien, abandonnés par la grande église. A l’argument dédaigneux de l’adversaire : « où étiez-vous avant Luther et Calvin ? » on avait enfin trouvé une réponse triomphante : nous étions avec ces chrétiens des Alpes et du midi, avec ces vaudois et ces albigeois que vous avez torturés et brûlés. Ce qu’ils ont scellé de leur sang, c’est ce que nous vous annonçons ; ce qu’ils ont cru, c’est ce que nous croyons. « C’est le peuple de joyeuse affection et de constante fidélité, s’écrie la réformation française par l’organe de l’un de ses synodes, son nom est le petit troupeau, son règne n’est point de ce monde, sa devise est piété et contentement ; c’est l’église qui a combattu sous l’ardeur du soleil, brune et hâlée au dehors, belle et de bonne grâce au dedans, et dont la plupart d’entre nous avaient méconnu les traces. »

Cette erreur ne fut pas exclusivement le partage des réformés,