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disparaître des vieux documens. De là un travail accompli à la sourdine aussitôt après leur transformation, travail singulier qui a égaré la critique jusqu’à nos jours. Des barbes inconnus ont porté la main sur leurs manuscrits, qui ne sont arrivés aux bibliothèques étrangères que défigurés et portant la marque des violences qu’ils ont subies. Ainsi la fameuse correspondance des barbes qui nous a montré l’ancien valdisme a été mise deux fois à la torture, la première fois par un traducteur vaudois anonyme, la seconde fois par un écrivain français. Le premier lui a enlevé son cachet de lettres échangées entre les barbes et les réformateurs, et en a fait disparaître tout ce qui pouvait trahir l’antique doctrine bigarrée du valdisme. Cette dissimulation du passé n’a point paru assez complète à un compilateur plus habile. Le manuscrit de la bibliothèque de Trinity-College, à Dublin, porte entre les lignes ou en marge des notes écrites en français qui ont toutes pour but d’établir l’identité religieuse des vaudois avant et après la réformation. Un docteur anglais, M. J. Henthorn Todd[1], a pu saisir en flagrant délit cette main mystérieuse et nommer le compilateur français. Il a retrouvé ces notes imprimées dans Perrin, le premier historien qui a érigé en système la prétendue identité religieuse des vaudois et des albigeois et l’opinion que les vaudois ont toujours professé la même doctrine. Ces indices paraissent convaincre M. J. Henthorn Todd que l’auteur de l’Histoire des vaudois et des albigeois qui parut à Genève en 1618 et le second compilateur de la correspondance des barbes sont un seul et même personnage, le Lyonnais Jean-Paul Perrin. Cet écrivain n’en était pas à son coup d’essai. Un professeur allemand[2] l’a saisi aussi en flagrant délit d’altération de la confession de foi des thaborites de Bohême, adressée à leur roi Vladislas vers l’an 1490. Cette confession fut éditée en 1533 par Luther, qui la trouva conforme sur beaucoup de doctrines à celle d’Augsbourg. Perrin s’en empara comme d’un document du valdisme ancien, la refondit avec d’autres documens d’une origine réellement vaudoise, et composa du tout les trois traités vaudois de l’Almanac spiritual, du Purgatori soima et de l’Antichrist, portant des dates du XIIe siècle avec le langage, les idées et la marque évidente du XVIe. La Nobla Leyczon elle-même, l’épopée des vaudois, n’a pas été à l’abri de ces falsifications. La découverte toute récente d’une altération portant sur la date a fait grand bruit en Angleterre et en Allemagne parmi le public qui s’occupe de ces questions rétrospectives. Elle nous a surpris nous-même, car nous avions, sur la foi du manuscrit de Genève, assigné à ce poème la

  1. The Waldensian manuscripts, by James Henthorn Todd ; London et Cambridge, 1865.
  2. Die Waldenser im Mittelalter, von Wilh. Dieckhoff ; Gœttingen, 1851.