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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/693

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région des Alpes avait abrité une vie religieuse intense qui déborda sur la plaine piémontaise, sur le Dauphiné et la Savoie. L’Israël des Alpes avait pris pour emblème une lumière qui luit dans les ténèbres, lux lucet in tenebris, l’ancienne devise de ces comtes de Luserne qui avaient jadis protégé la secte contre l’inquisition, et il s’efforça en effet de répandre sa lumière. Ses apôtres et ses colporteurs de livres se répandent de nouveau sur les deux versans, prêchant cette fois l’Évangile sans détour, sans les déguisemens et les naïvetés d’autrefois, allant franchement à l’adversaire et lui opposant un christianisme épuré. Ce réveil de la foi excita le fanatisme des moines de l’Abbadia de Pignerol, qui suppléèrent aux défaillances du bras séculier. A la faveur de l’anarchie qui accompagne toujours un changement de domination, ces anciens ennemis des vaudois organisèrent contre eux, avec l’aide de quelques seigneurs locaux, des razzias qui tombaient à l’improviste dans une vallée, et se retiraient aussitôt avec des captifs voués à des tortures atroces. Un certain Ugon Chiamp, pris du côté de Suse, fut mis à mort d’une horrible façon : on vida ses entrailles dans un vase pendant qu’il respirait encore. Un Geymonat, pris à Luserne, au débouché de la vallée du Pellice, périt avec un chat vivant introduit dans le ventre par une large incision. On le voit, le fanatisme du XVIe siècle se montre plus ingénieusement féroce que celui du XIIIe. Quelquefois ces attaques étaient vivement repoussées par les habitans des vallées. « Un matin, raconte Crespin dans son Histoire des Martyrs, ceux d’Angrogna, étant dans leurs muandas ou chalets du côté de Saint-Germain, ouïrent quelques arquebusades devers ce lieu, et peu à peu ils aperçurent une troupe de pillards, au nombre de cent vingt, qui marchaient contre eux. Alors ils se mirent incontinent à crier pour avertir les leurs, et, s’étant rassemblés, ils se formèrent en deux troupes de cinquante hommes chacune qui prirent l’une par le haut, l’autre par le bas, et, se ruant sur l’escouade des brigandeaux, qui étaient tous chargés et embarrassés de butin, les mirent en fuite, et les poursuivirent jusqu’au bord du Chisone, où il s’en noya la moitié. »

Après que la domination française fut régulièrement constituée, l’initiative des persécutions passa de l’église à l’état, de l’inquisition aux chambres ardentes instituées dans les parlemens. François Ier avait transporté sur les deux côtés des Alpes, en Savoie et en Piémont, les institutions judiciaires de la France, alors bien supérieures à celles des autres pays. Les parlemens français de Chambéry et de Turin, amenés par la conquête et qui furent à l’œuvre de 1538 à 1559, ont laissé des traces ineffaçables : la jurisprudence fut renouvelée, le latin barbare dont on s’était servi