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sentence eut son cours le 25 octobre, en grande cérémonie, sur le bord du torrent qui traverse Chambéry.

Un procès qui n’eut pas moins de retentissement est celui du colporteur vaudois Barthélemy Hector, condamné l’année suivante par le parlement de Turin et exécuté de la même manière. Ce procès nous montre de plus près le tempérament religieux des apôtres du nouveau valdisme. Barthélémy Hector avait pour mission d’aller de lieu en lieu, vendant ou donnant l’Écriture sainte et l’expliquant au peuple. De Genève, où il s’était approvisionné de livres, il avait suivi la route ordinaire des montagnes de la Savoie, courbé sous son précieux fardeau, harassé, mais « joyeux et bénissant Dieu, » dit Crespin. Il était arrivé au mois de juillet 1555 dans la terre promise des barbes, sur les hauteurs de la Vachère, entre la chaîne centrale et l’abîme du Prà del Tor. En cette saison de l’année, la population déborde sur les hauts lieux, la vie monte aux cimes élevées qui se hâtent de fleurir sous le chaud rayon du soleil et de donner leur tribut annuel d’herbe fine et serrée que viennent brouter la vache et le mouton. Le colporteur avait fait aussi son ascension à l’alpe sauvage, heureux s’il s’y était tenu ; mais, ayant voulu descendre dans la vallée de San-Martino, sur les terres d’un seigneur allié de la fameuse Abbadia et ennemi héréditaire des vaudois, il fut saisi, conduit à Pignerol et de là dans la prison du parlement de Turin, où le catalogue de ses livres l’avait précédé. Les divers interrogatoires auxquels il fut soumis à Pignerol et à Turin devant le tribunal de l’inquisition et la cour du parlement mettent en lumière un caractère doux et aimant, mais en même temps très ferme. Le magistrat civil est visiblement ébranlé, et veut lui sauver la vie. « Si vous ne voulez pas, lui dit-il, abjurer votre foi, rétractez au moins vos premières déclarations.. — Prouvez-moi qu’elles sont erronées. — Il ne s’agit pas de prouver, répond le magistrat, il s’agit de vivre. — Ma vie est dans ma foi, c’est elle qui m’a fait parler. » Le parlement, ne sachant que faire de cette conscience inébranlable, le renvoie au saint-office, où on lui renouvelle l’assurance de la vie sauve sur une simple rétractation. « J’ai dit la vérité, répond-il, comment puis-je changer de langage ? Peut-on changer de vérité comme de vêtement ? » Ce fut là son dernier mot. L’église le déclara hérétique et le livra, selon la formule canonique, au bras séculier, c’est-à-dire à la mort. Le 19 juin 1556, il fut conduit au lieu des exécutions A travers les flots pressés du peuple accouru au spectacle. Il ne laissa pas échapper cette dernière occasion de publier la doctrine pour laquelle il allait mourir. « Il parlait au peuple, dit un témoin, et le peuple pleurait et s’étonnait qu’on fît mourir un tel homme. » On le menaça de lui couper la langue ; mais la sentence n’avait pas prévu le cas, et il