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l’âme de la défense. Aussitôt après le massacre, il avait raffermi les cœurs abattus, il s’était vivement opposé à la proposition d’abandonner la terre natale. La première réunion des fugitifs se tint sur la montagne de la Chapelle ; on résolut de s’adresser aux puissances protestantes, et c’est Léger qui fut choisi pour faire les manifestes déchirans dont nous avons parlé. Maintenant que ces manifestes produisent le résultat attendu, on comprend que sa tête ait été mise à un tel prix par les persécuteurs.

Les lettres de Cromwell commençaient en effet d’émouvoir les princes protestans, et la cour de Turin était assaillie chaque jour de représentations en faveur des vaudois. Les ambassadeurs arrivaient et les notes pleuvaient de tous les points de l’horizon. Les conseillers de Charles-Emmanuel II voyaient avec terreur grossir la tempête d’indignation et d’horreur qu’ils avaient provoquée. Ce fut pour eux, ce fut pour le duc de Savoie une grande humiliation que d’avoir à entendre toutes ces représentations écrites ou verbales dont quelques-unes sont d’une violence extraordinaire, entre autres celles de Morland, l’ambassadeur de Cromwell. Morland arrivait à Turin le 21 juin, et demandait immédiatement à être reçu par le duc en personne. La cour, prévoyant un éclat, était allée s’établir au château de Rivoli pour esquiver l’audience ; mais il la poursuivit dans cette retraite, et la crainte d’irriter le puissant protecteur de l’Angleterre, dont Louis XIV recherchait en ce moment l’alliance, fit accorder le 24 juin à l’impétueux envoyé la séance solennelle qu’il demandait. Elle eut lieu en présence de Madame royale Christine de France, de Charles-Emmanuel, du prince Thomas et des dignitaires de la cour, les Pianezza, les Gastaldo, les San Tommaso, qui avaient ordonné ou exécuté les pâques piémontaises. Après les complimens indispensables, l’envoyé exposa l’objet de sa mission en des termes que certainement aucun souverain de nos jours ne consentirait à entendre. C’est Morland lui-même qui a reproduit dans son History of the evangelical churches of the valleys le discours latin qu’il prononça. « Le sérénissime protecteur vous conjure lui-même, dit-il, d’avoir compassion de vos propres sujets des vallées si cruellement maltraités. Après le massacre est venue la misère ; ils sont errans par les montagnes, ils souffrent la faim et le froid, leurs femmes et leurs enfans traînent dans le dénûment une vie languissante et désolée. Et de quelles barbaries n’ont-ils pas été victimes ! » Ici l’orateur s’anime, et, empruntant à Léger ses tableaux sanglans, il s’écrie : « Heu ! fumantia passim tecta, laceri artus,… leurs maisons incendiées, leurs membres déchirés, mutilés, écartelés, quelquefois même dévorés par les meurtriers, des vieillards centenaires brûlés dans leurs lits, des enfans écrasés contre les rochers, virgules (nous ne pouvons traduire cela)