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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/89

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et dogmatique. M. Hase possède à un degré incomparable l’art de rendre piquans les sujets les plus secs à force d’esprit, d’humour et souvent de malice; il était donc mieux préparé que personne à traiter comme il convient une question qui réclame autant de savoir que de goût littéraire, autant de sympathie pour le moyen âge que d’indépendance dans les idées[1]. Nous diviserons notre essai en périodes, afin de relever le caractère propre de chacune d’elles et de montrer comment chacune est sortie avec sa physionomie spéciale de celle qui l’a précédée.


I.

La première période va de la fin du Xe siècle au XIIIe. Le drame religieux pendant tout ce temps fait encore partie intégrante du culte de l’église. C’est ce que les recherches les plus récentes ont mis en pleine lumière. Le culte chrétien en effet, didactique, méditatif et très simple dans les premiers siècles, était devenu sacerdotal, mystique, riche en cérémonies symboliques destinées à peindre aux yeux ce qu’on voulait dire aux âmes. Il se concentrait désormais dans la messe, c’est-à-dire qu’il était devenu essentiellement dramatique : il reproduisait quotidiennement l’auguste tragédie du Calvaire. Le goût inné de l’âme humaine pour le drame en action avait fini par faire oublier l’anathème impitoyable que les premières générations chrétiennes, Tertullien en tête, lançaient contre le théâtre. Il est vrai que les infamies dont les représentations scéniques étaient alors souillées devaient paraître insupportables au sens très élevé que la première église avait de la moralité et de la dignité humaines. Les histrions étaient à peine mieux vus de la société païenne que des chrétiens. La mythologie ne servait plus guère qu’à fournir des motifs graveleux, souvent de la dernière indécence. N’y eut-il pas une impératrice qui se montra nue sur la scène dans le rôle de Léda caressée par son cygne? De nos jours même, où le mal est bien moindre, si le théâtre n’avait à nous offrir que les platitudes licencieuses honorées par d’augustes suffrages, saurions-nous toujours distinguer le principe légitime de l’application mauvaise? Quand de plus les jeux scéniques offraient à la foule le spectacle de supplices abominables, était-il possible à

  1. M. Hase est depuis longtemps une des grandes lumières théologiques de l’Allemagne. Né en 1800 à Steinbach (Saxe), privat docent à Tubingue en 1825, ayant subi une captivité d’un an pour crime d’affiliation à une société allemande unitaire et libérale, il fut nommé en 1829 professeur de théologie à Iéna, et n’a cessé depuis lors d’y représenter l’heureuse alliance de la liberté scientifique et du sentiment religieux.