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chaque rivière, à la prise de chaque fort et de chaque village ; mais le farouche patriotisme des Paraguayennes explique suffisamment comment cette rumeur a pris naissance. Déjà l’année dernière une députation de dames réclamait du maréchal Lopez l’honneur de prendre part à la défense d’Humayta, et depuis, en mainte rencontre, les femmes surprises dans les villages épars entre le Parana et le Tebicuari se sont défendues avec le même acharnement que les hommes. D’après les correspondances du journal anglais le Standard and Plate News, les Brésiliens vaincus au bord du Jacaré auraient même reconnu parmi leurs adversaires tout un régiment de femmes. Récemment, après l’un de ces combats meurtriers qui se sont livrés dans le Chaco, on ramassa deux cadavres, celui d’un jeune homme et celui d’une vieille femme, probablement sa mère, qui d’une main tenaient chacun leur fusil, et de l’autre se donnaient jusque dans la mort une dernière caresse. Ce sont là des tableaux de nature à faire reculer les plus cruels et à dégoûter singulièrement les Argentins de leur alliance avec l’empire. Les femmes du Paraguay sont, à n’en pas douter, aussi décidées à la lutte que leurs maris et leurs fils : ce n’est point une armée, c’est une nation tout entière que les envahisseurs ont à combattre. Aussi peut-on être assuré d’avance que les impériaux ne sortiront pas de la lutte en vainqueurs, à moins qu’ils ne soient assez nombreux et assez résolus pour exterminer ce peuple, qu’ils sont venus, disent-ils, « délivrer de la tyrannie. »

Et pendant combien de mois ou d’années les autres nations toléreront-elles encore ces massacres ? Il eût été digne de la part des républiques andines de donner suite à l’énergique protestation qu’avait rédigée en leur nom commun le ministre du Pérou M. Pacheco, enlevé récemment par la fièvre jaune ; mais, après avoir lancé leur réclamation solennelle, elles sont retombées dans le silence, comme si le sort du Paraguay, qui défend pourtant leur propre cause, leur était devenu indifférent. L’Angleterre, à qui les intérêts de ses nationaux non moins que les devoirs de l’humanité commanderaient une démarche de médiation, ne s’est pas encore interposée entre les belligérans, ainsi que ne cesse de le lui conseiller le Times, organe du haut commerce britannique ; d’ailleurs, il faut le dire, l’attitude de M. Gould, ministre de la Grande-Bretagne à la Plata, ne présente pas de garanties suffisantes d’impartialité, et le maréchal Lopez refuserait certainement d’entrer en pourparlers avec un diplomate qui dans ses dépêches officielles le qualifie de « despote » et de « barbare. » Quant à la France, la conduite qu’elle a suivie à l’égard de la république mexicaine ne peut en faire un arbitre dans la lutte qui se poursuit sur les bords des fleuves platéens. C’est à la république des États-Unis que