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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/952

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SIX MOIS
À TERRE-NEUVE


I

A beau mentir qui vient de loin : telle était la réflexion discourtoise dont le plus souvent les récits du voyageur étaient jadis accueillis. Aujourd’hui qu’à proprement parler nul ne revient de loin, puisque tout le monde va un peu partout, le vieux proverbe ne semble plus avoir de raison d’être. Je suppose cependant qu’un touriste de profession, rentrant à Paris après sa promenade d’été, s’avise de raconter dans un salon qu’il revient d’un singulier pays, organisé de cette façon, au rebours du sens commun : une seule industrie y est possible, et, bien que l’on n’y puisse vivre que par elle, les possesseurs du sol n’ont pas le droit de l’exercer, par la raison que le monopole de ce droit est réservé à une autre nation vivant très loin de là, laquelle en revanche ne peut à aucun titre acquérir la souveraineté territoriale de l’île en question, et n’y peut, qui plus est, résider d’une manière permanente. — Voilà certes, dira-t-on, un étrange galimatias de choses et d’idées, et ce phénomène bizarre, dans quel coin perdu du monde faut-il l’aller chercher ? — Il n’est qu’à quelques journées de vapeur de nos côtes, répondra le voyageur. Le plus plaisant de l’affaire est que cet état de choses compte plus d’un siècle et demi d’existence, et qu’il a été établi après de longues délibérations par tous les sages de l’Europe solennellement réunis en congrès. Cet arrangement fut même trouvé si satisfaisant que depuis lors, c’est-à-dire depuis cent cinquante ans, toutes les fois que les successeurs desdits sages se sont assemblés de nouveau pour statuer sur les destinées de l’Europe, ils ont