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recèlent, la nature des événemens et des êtres contemporains. Maintenant l’humanité, comme l’enfant devenu adulte, interroge autour d’elle, et cherche à reconstruire le tableau d’un âge qu’elle ignore et qu’elle a pourtant traversé ; il est possible d’en esquisser déjà quelques traits.


I. — LA PALEONTOLOGIE DU LANGAGE ET LES GRANDES RACES ASIATIQUES.

Le terme de paléontologie appliqué à la linguistique, en tant qu’elle a pour but l’analyse des élémens primitifs du langage, a été adopté par M. À. Pictet dans son ouvrage sur les Origines indo-européennes, presque en même temps M. Max Müller mettait la linguistique comparée au rang des sciences naturelles en démontrant qu’elle en empruntait les procédés. Il n’y a là en effet rien qui ressemble à l’étude du mécanisme intérieur et de l’esthétique littéraire des langues ; elles ne sont plus que des matériaux inertes, qu’il faut recueillir précieusement pour en opérer le classement et en rechercher les vicissitudes. Considérés de cette façon, les élémens du langage prennent une réalité objective ; ce sont les fossiles caractéristiques de ces couches d’alluvion que le flot des générations laisse à mesure qu’il se retire ; ils servent à en déterminer la nature et l’âge relatif, aussi bien que les fossiles dont la paléontologie ordinaire tire si bien parti. Comme elle, la paléontologie linguistique recherche dans les mots et les élémens des mots ou racines la trace irrécusable des faits dont ils ont gardé l’empreinte ; elle nous transporte bien au-delà des temps historiques, et d’autres sciences nous viennent ensuite en aide pour pénétrer encore plus avant. L’histoire même d’ailleurs a de nos jours agrandi son domaine ; la lecture des hiéroglyphes égyptiens et des caractères cunéiformes de la Perse et de la Babylonie a ouvert des horizons entièrement nouveaux. On est remonté, à l’aide de monumens certains, jusqu’à la quatrième dynastie, c’est-à-dire après de quatre mille ans avant l’ère chrétienne. La connaissance des inscriptions cunéiformes, acquise par un enchaînement de méthodes ingénieuses et de prodiges de patiente érudition[1], a révélé également l’existence des antiques monarchies chaldéennes. Ainsi à cette époque reculée la vie politique, sociale et industrielle avait créé des centres considérables sur les bords du Nil et de l’Euphrate, quand les Aryas, la plus jeune des races asiatiques, étaient encore renfermés dans une région montagneuse vers le centre du continent. C’est aux Aryas, on le sait, que l’Europe de nos jours se rattache

  1. Voyez, dans la Revue du 15 mars 1868, un article de M. Alfred Maury intitulé Babylone et Ninive d’après les récentes découvertes de l’archéologie.