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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/989

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langues à racines primitives accolées et comme cimentées par juxtaposition. Ces racines. tout en se combinant pour former des mots, demeurent distinctes et s’altèrent très peu. Le savant professeur considère toutes ces langues comme se rattachant à une période moins avancée de l’humanité ; il y voit une tendance particulière de l’esprit appliquant à la formation du langage un procédé moins perfectible. Quant aux idiomes aryens, il les réunit sous la dénomination de langues à flexions, parce que les mots, composés d’élémens syllabiques primitivement distincts, sont susceptibles de se prêter, pour obéir à la pensée, à des déviations qui les abrègent, les soudent, les altèrent, en modifient l’aspect et la valeur, et nous permettent de varier par une foule de nuances l’expression de nos idées. Nos cas, nos modes, nos déclinaisons, la plupart de nos terminaisons, ne sont que des flexions qui ont eu originairement un sens déterminé, et qui traduisent à l’aide d’un procédé très ingénieux les opérations les plus complexes de l’esprit.

Aussi nos langues à flexions, souples comme les intelligences à qui elles servent d’organe, sont perpétuellement exposées à donner naissance à de nouveaux dialectes, où reparaît pourtant l’empreinte de la langue primordiale. Non-seulement la grammaire des langues à flexions, soumise à une loi de développement particulier, reste la même chez tous les peuples qui font partie de la famille aryenne ; mais les mots eux-mêmes ne s’altèrent pas arbitrairement : dans le mot qui se forme, il persiste toujours quelque vestige de celui dont il est sorti. La linguistique démontre la régularité de la marche suivie par ces altérations, et souvent cette étude permet de remonter jusqu’à la source des mots. C’est ainsi que les langues aryennes, répandues maintenant dans le monde entier, se rattachent toutes à l’ancien sanscrit et au zend, et par eux à la langue d’un petit peuple qui habitait, il y a six mille ans, les montagnes de l’Asie intérieure.

Les langues sémitiques, c’est-à-dire l’hébreu, le syriaque, l’arabe, le chaldéen et quelques autres rameaux détachés, composent une autre famille. Plus simples dans leur structure essentielle, plus immuables dans leurs élémens, presque dépourvues de voyelles, aisément ramenées à des racines de trois lettres, les langues sémitiques se décomposent avec moins de facilité en dialectes, mais par cela même elles se prêtent aussi moins bien à ces transformations successives qui ont assuré aux idiomes aryens une vie toujours renaissante et une immense diffusion. Les langues sémitiques, comme l’a exposé M. Renan, semblent l’apanage exclusif et expriment les tendances d’une race développée au sein d’une région déterminée. En dehors de ce cercle restreint, l’idiome sémitique languit et ne tarde pas à disparaître au contact dissolvant du langage aryen.