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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/1008

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fallait pas que l’empereur fût exposé à rencontrer dans les salles un visiteur non revêtu du costume de cérémonie. Bien différent est sous ce rapport l’usage de Pétersbourg et celui de Berlin, où l’on voyait en hiver, dans les galeries de l’ancien muséum, des hommes et des femmes de la campagne en sabots boueux. Toutes les collections en Russie, de quelque nature qu’elles soient, ne sont d’ailleurs guère moins fermées. Les règlemens les transforment en autant de domaines réservés aux conservateurs et à quelques privilégiés. Le peuple n’y entre jamais. Tout cela se modifiera sans doute, mais lentement et à mesure que ce peuple de serfs respirera plus largement l’air vif des contrées libres. Il est tel pays de Russie où, d’après ce que nous avons vu nous-même, nous oserions affirmer que ces changemens exigeront plusieurs générations. Il faut que les mœurs elles-mêmes, la paresse intellectuelle, cette demi-somnolence d’individus sur lesquels a pesé un despotisme séculaire, fassent place à des habitudes et à des nécessités nouvelles. Or ces choses ne s’improvisent pas.

Disons cependant qu’en Finlande, — la Finlande est le gouvernement le plus instruit de la Russie, un des derniers détachés du royaume de Suède, — dans les provinces bal tiques, en Pologne, l’enseignement du dessin compte un certain nombre d’élèves dans les établissemens secondaires. Il faudrait faire aussi une exception en faveur des deux capitales, Saint-Pétersbourg et Moscou. Encore là, comme dans presque tout le nord de l’Europe, se retrouve et prévaut ce dessin pointu, sec, puéril, qui appartient à tant de pays d’Allemagne. On regarde un trait mince et grêle comme un chef-d’œuvre d’habileté manuelle, et celui qui pourrait dédoubler ce trait en y faisant passer un autre trait plus fin, plus aigu, passerait presque, sinon pour un artiste, du moins pour un dessinateur. On ne peut cependant refuser au peuple russe une disposition naturelle pour les arts d’imitation. Il ne manque pas d’un goût assez accentué, qui, conduit par l’étude, peut aboutir à des résultats heureux. Il aime les couleurs et ne laisse pas de les assembler heureusement. Il se plaît à orner ses cabanes de décorations souvent bizarres, mais agréables à voir, ses barques, aussi primitives que celles des sauvages, de têtes de chevaux dessinées et sculptées, de chaînes et d’yeux à la proue, comme les premières nefs des Grecs ; mais de ces essais informes à un art réel et raisonné il y a encore un intervalle difficile à mesurer. Quelques écoles secondaires d’industrie, comme l’institut Strogonof de Moscou, avaient exposé en 1867 de très remarquables modèles de papiers peints, d’étoffes et de tapisseries. Cet institut, fondé, croyons-nous, par acte d’initiative par- ticulière, n’est pas le seul en Russie ; nous ne nous y arrêterons