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jamais que des demi-succès, ne put réussir à se rendre jusqu’à Rome pour y être couronné : il dut se contenter de recevoir la consécration et le diadème dans ses montagnes du Tyrol. Ses états héréditaires et ses feudataires d’Allemagne enfermaient la Suisse dans un arc immense dont il eût bien voulu rejoindre les extrémités. Comme le duc Charles, il nourrissait de grands desseins. Faire la guerre à la France, qui devenait tous les jours plus redoutable, repousser les Turcs, qui menaçaient Vienne, réclamer ses vieux droits périmés sur les cités d’Italie, établir l’ordre, l’obéissance et surtout des impôts en Allemagne, c’était une suite d’entreprises non moins vastes que celles du Téméraire ; mais, à la différence de celui-ci, il n’avait que des titres, des droits plus ou moins légitimes et point de ressources, une magnifique couronne, mais pas d’argent et pas de soldats. La Suisse tenait au saint-empire par un lien de respect plutôt que de nationalité ; il prétend la rattacher à la loi commune. La Suisse fournissait les meilleurs soldats ; il voulut les avoir pour l’accomplissement de ses projets. D’ailleurs ce pays sans chef et en apparence sans lois était d’un mauvais exemple au moment où l’empereur voulait se rendre le maître en Allemagne et remonter à son rang d’arbitre de l’Europe. Il commença donc par diviser l’empire en un certain nombre de cercles, et somma les cantons d’y prendre place. Il fit lever des impôts, et mit les confédérés en demeure de payer. Il favorisa l’établissement de la ligue de Souabe, et ordonna aux Suisses de s’y affilier. Il ne s’agissait plus d’hommages et de suzeraineté ; il s’agissait d’impôts, de redevances, de sujétion réelle. En consentant, les Suisses perdaient leur autonomie, puisque leur soumission à l’empire était jusque-là purement nominale ; en refusant, ils avaient la guerre, et, s’ils étaient battus, ce n’était pas seulement l’empereur, c’était l’archiduc d’Autriche qui était vainqueur : ils retombaient dans la condition de vassaux héréditaires, ils devenaient Souabes ou Tyroliens. Ou nation indépendante, ou sujets de l’Autriche, la question était ainsi posée ; ainsi l’entendaient leurs ennemis. Une chanson répétée par les lansquenets recommandait au prince d’exiger ses droits non d’empereur, mais d’archiduc. « Noble roi d’Autriche, dit-elle, laisse ton aigle s’envoler et prends ta queue de paon brillante, les paysans seront bientôt à tes pieds. »

Le paon et les paysans, voilà les adversaires. Le paon est l’oiseau de Junon, des impératrices, qui rappelle tant de mariages heureux pour la famille d’Habsbourg : tu, felix Austria, nube ; toi, heureuse Autriche, épouse, et c’est assez pour assurer ta grandeur. Le terme de paysans était dans la bouche des lansquenets et des Souabes une expression de mépris. Les Suisses s’appelaient eux-mêmes