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des postes avancés veillent toujours. Reste la vallée de Bâle, par où elle attend l’Alsace et la Lorraine allemande. Ainsi préparée, elle ne se laisse entamer nulle part ; pour continuer l’image déjà employée, la lutte a lieu à l’extrémité même des faubourgs.

Le Schwabenlied, autrement appelé der graue Greis, le Vieillard grison, est la ballade guerrière la plus célèbre de la Suisse, celle dont les copies sont le plus répandues, et cette circonstance prouve l’importance du rôle qu’elle a joué dans l’histoire de la confédération. Elle est un résumé complet de la guerre de Souabe, crise suprême de la nationalité (1499). « L’ennemi s’avança jusqu’à Luziensteig ; mais la ligue grisonne eut bientôt chassé ces pauvres fous, et celui qui n’y perdit pas la vie perdit au moins ses souliers dans le torrent et dans le marais de Balzers. » Entre le Fläscherberg et le Falkniss, semblables à deux sentinelles, Luziensteig, ou le sentier de Sainte-Lucie, défend l’entrée des Grisons ; encore de nos jours il est fortifié, et les descendans des héros du Schwabenlied y font l’exercice en automne. Aujourd’hui l’on y boit du vin digne de faire déjà honneur au Rhin, qui court dans la profonde vallée, et l’on y monte pour admirer un magnifique point de vue. Au nord-ouest, on voit se dresser la longue chaîne dentelée des Churfürsten, au nombre de sept, tous debout au nord du lac de Wallen-See, comme les sept princes électeurs du saint-empire, à l’ouest la grisâtre pyramide du Falkniss, au midi les cimes glacées de la Scesaplana, dans les Grisons. Il y a trois cent soixante-neuf ans, les montagnards précipitaient lansquenets et confédérés souabes de ces hauteurs au milieu des neiges. On était en février. Le froid n’arrêtait pas ces natures de fer. Sept jours après, ils traversaient le Rhin à gué, et s’arrêtaient au milieu du fleuve pour attendre leurs amis attardés. Plutôt que de rebrousser chemin devant les Souabes, ils restèrent deux heures au milieu du Rhin, ayant de l’eau jusqu’à la poitrine, écartant avec leurs piques les glaçons que le fleuve charriait contre eux. La vengeance, non moins que la victoire, entretenait en eux la flamme.


« Vos cris et vos hurlemens, ô Souabes, à Fussach comme à Hard, ne les ont pas trouvés tendres. Ils ne vous laissaient pas respirer, n’est-il pas vrai ? Vous voilà bien punis d’avoir crié si fort ! »


Toujours les cris des vaches, toujours la même insulte, qui mettait les Suisses hors d’eux-mêmes. La plupart des Souabes ne les connaissaient que sous le nom de paysans ou d’autres noms de fantaisie dont le même animal faisait toujours les frais. Un fuyard tiré de Sa cachette implora leur clémence en les appelant mes bons, mes chers Kuhmäuler, museaux de vaches. Le nom même des Suisses