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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/171

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la société anglaise les restes des grands naufrages qui ont englouti des races aristocratiques. Naguère s’éteignait à Shrewsbury, dans la maison des pauvres (workhouse), une jeune fille de dix-sept ans connue sous le nom d’Emilie : c’était la dernière des Taillebois, barons de Kendal. On parlait aussi à Londres, il y a quelque temps, d’un Stephen Penny, fossoyeur du cimetière de Bayswater et descendant de Thomas, duc de Glocester, fils d’Edouard III. Vit-il encore ? Je ne sais, et malgré quelques recherches je n’ai pu le retrouver. Toujours est-il que sa noblesse était authentique, et que, si telle eût été sa fantaisie, il eût eu le droit, comme on l’a dit, de blasonner ses armes royales sur l’un des corbillards qu’il lui aurait plu de choisir pour carrosse[1].

Il est naturel de se demander par qui ont été remplis les vides que faisaient de siècle en siècle dans les rangs de la pairie la loi d’attainder, les revers de fortune et souvent aussi les extravagances des anciens lords. Le commerce et l’industrie ont successivement enté beaucoup de branches nouvelles sur le tronc mutilé de la noblesse britannique. Le premier des Campden tenait une boutique de mercier dans Cheapside, et l’on prétend qu’il continua toute sa vie à servir les pratiques, même après avoir sauté du comptoir à la chambre des lords. La maison ducale des Leeds fut fondée par un apprenti horloger, Ned Osborne, qui, ayant sauvé la fille de son maître au moment où elle se noyait, obtint en retour de l’épouser. Berks, le premier des Norreys d’Ockwell, était cuisinier de la reine Elisabeth. La famille de lord Rosebery descend d’un honnête typographe qui, vers 1616, avait obtenu le privilège d’imprimer en anglais et en latin pendant vingt et un ans une brochure intitulée God and the king (Dieu et le roi). George III, qui durant son règne nomma beaucoup de pairs, ne créa qu’un seul duc, et c’était le fils d’un apothicaire de Londres. La liste est longue et curieuse de tous les membres de la chambre haute qui sont arrivés aux honneurs par le travail, les affaires et l’intelligence. On se tromperait toutefois, si l’on croyait que ces accessions, en infusant du sang nouveau dans les veines de la noblesse anglaise, aient beaucoup modifié l’esprit de cet ordre. C’est plutôt tout le contraire qui a eu lieu. Les parvenus, puisqu’il faut les appeler par leur nom, sont souvent ceux qui apportent à l’aristocratie les passions les plus acerbes et les préjugés les plus tenaces. Avec un zèle de néophytes, ils s’identifient de cœur et

  1. La chute des grandes familles n’a pas toujours été irrévocable. Le fils d’un père ruiné laissait dormir le titre, se livrant pour vivre à des occupations obscures et lucratives ; mais on cite plus d’un exemple de descendans qui, doués d’un mérite personnel et ayant ressaisi une fortune ; obtinrent d’être réintégrés sur le siège de leurs ancêtres.