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D’autres preuves en faveur de cette hypothèse peuvent être tirées de l’étude des glaces que l’on rencontre aux deux pôles. Au sud s’observent tous les phénomènes qui caractérisent les glaciers proprement dits ou amas de glaces élevés sur une base fixe, terre ou rocher. Là se renouvelle chaque année dans des proportions gigantesques le travail que les géologues ont observé dans les Alpes, dans l’Himalaya et dans les Cordillères des Andes. Lorsque arrivent les froids de l’hiver, la vapeur d’eau dont l’air a été saturé par les fortes évaporations de l’été se condense en neige épaisse, et tombe à gros flocons pour s’accumuler pendant toute la morne saison des nuits de six mois. Aux premiers feux du printemps, quand le soleil vient répandre sa chaleur sur ces terribles contrées, la glace commence à fondre. L’eau s’écoule alors entre les fissures de la glace et dans les interstices des rochers, où elle se congèle de nouveau en augmentant de volume et en repoussant avec une force incroyable les obstacles qui la gênent. Ce n’est pas sur quelques points que se fait ce travail, c’est dans tous les sens et sur toutes les parties du glacier, auquel durant l’été ce travail intérieur donne une sorte de vie et un irrésistible mouvement de progression. A l’approche de l’hiver, lorsque s’annoncent les premiers signes du crépuscule, la puissance d’impulsion est vaincue par le froid et diminue peu à peu pour se perdre dans le long sommeil de l’hiver. Cette vie des glaciers est un des obstacles les plus dangereux pour les navigateurs qui abordent le pôle sud. Lorsque la saison a été chaude et que la débâcle s’est fait sentir fortement, le glacier lance à la mer d’énormes blocs mêlés de rochers et de détritus végétaux. Les ice-bergs jouent un grand rôle dansées récits des explorateurs du pôle antarctique ; à tout moment, leurs navires sont menacés par des montagnes flottantes ou par des blocs détachés de formidables murailles de glaces qui semblent vouloir leur barrer le passage. Si la configuration de la banquise du pôle sud, dont les immenses glaciers ont dû être posés sur des assises fixes aux temps les plus reculés de la période glaciaire, nous force ainsi à admettre un continent, l’étude de la nature physique de ces glaces en démontre aussi l’origine terrestre. Dans l’eau, elles paraissent noires, tandis qu’au Jour elles sont transparentes et d’une couleur azurée.

Des phénomènes très différens caractérisent les régions du pôle nord. Là on rencontre de préférence la glace de formation marine, la glace des ice-fields. La neige qui tombe dans la mer forme d’abord une sorte de bouillie épaisse ; si le temps est calme, elle se prend, et l’eau se couvre d’une glace mince, moitié franche, moitié névé ou neige agglutinée. « Dès que le vent se lève, dit M. Gustave Lambert, tout se brise, tout s’émiette, et produit un des « spectacles les plus admirables que l’on puisse voir. Chaque petit morceau de glace en fondant s’entoure d’un véritable bain de pied d’eau douce qui ne se mêle pas avec l’eau de la mer ; les rayons d’un soleil très bas viennent iriser toutes ces flaques d’eau, en