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Je reviens au succès de notre jeune voyageur à la cour poétique de Weimar, succès rapide et complet, tout à fait justifié dans sa personne. Je repasse en revue mes souvenirs, je fais en idée le recensement de nos amis d’alors. et il me semble qu’aucun, en effet, n’était aussi qualifié. qu’Ampère pour représenter avec avantage auprès de Goethe la génération intellectuelle dont il faisait partie. On aurait été aux voix dans les rangs du Globe pour élire, un envoyé littéraire auprès de Goethe, que : l’on n’aurait pu tomber plus juste ni mieux choisir.

Et j’écarterai tout d’abord le glorieux trio de Sorbonne, MM. Cousin, Villemain et Guizot, qui de loin pouvaient paraître présider au Globe ou y être mêlés, mais qui de fait n’en étaient pas. Ils appartenaient chacun à un ordre et à un mouvement d’idées antérieur. C’étaient les princes de l’esprit, et l’on n’envoie pas des princes pour ambassadeurs.

Mais certes le fondateur et directeur du Globe, M. Dubois, était fait pour réussir lui-même dans un tel voyage. Goethe l’eût écouté avec étonnement dans sa conversation pleine de verve, de saillies, de jets et d’efforts souvent heureux, de vues parfois lucides et perçantes ; mais en même temps il n’aurait pu s’empêcher de remarquer en lui que l’esprit français, pour faire ses nouvelles conquêtes, se donnait bien de la peine et tâchait beaucoup, qu’il y avait bien de l’inachevé, du heurté, du saccadé, un peu de crise de nerfs dans toute cette ambition généreuse, plus de commencemens que de suites : et lui, l’homme calme et supérieur, du haut de son approbation bienveillante il lui eût été difficile parfois de ne pas sourire.

Certes M. Mérimée, si admiré de Goethe dès ses productions premières, pour son Théâtre de Clara Gazul, pour sa Guzlan considéré par lui au début comme un des plus francs et des plus originaux talens de la France, certes M. Mérimée ; eût été auprès de lui un représentant bien venu et bien choisi de l’esprit et de l’art nouveaux ; mais c’eût été un représentant tout individuel, lui offrant en soi une forme déjà par faite, un moule exact aux arêtes vives, un profil de bronze, artiste à la fois charmant et sévère, osant beaucoup, disant peu et s’abstenant volontiers, en tant qu’esprit, des échappées au dehors des vues critiques conjecturales, des idées innombrables qui traversaient l’air en ce temps-là, et dont il n’était pourtant pas indifférent d’indiquer les traces. Ce qu’il fallait à Goethe à ce moment, c’était surtout un informateur.

Et à ce titre certes encore M. Vitet, l’homme de l’art, — des beaux-arts, — des premiers enthousiasmes pour le beau, des retours animés et des studieux élans vers le moyen âge roman et gothique, le passionné, visiteur des cathédrales des bords du Rhin, eût