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avant de courir après un autre Sadowa ; il semble d’ailleurs redoubler de prudence mystérieuse, et ne paraît nullement désireux pour le moment de fournir des prétextes. L’empereur des Français, qui n’attend, dit-on, que la visite de la fille de la reine d’Espagne, la comtesse de Girgenti, pour se diriger vers Biarritz, ne va pas sans doute si loin pour combiner une prochaine entrée en campagne. De tous nos ministres, deux seulement sont à Paris. Notre diplomatie fait des discours dans les banquets de province, et ne menace assurément personne dans ses toasts. Nos sénateurs font de l’histoire à leur façon dans les cérémonies officielles, et nos avocats bien pensans charment les comices agricoles de leur éloquence fluide. Les conseils généraux achèvent en un clin d’œil leur session, où défilent nos hommes d’état, et à défaut de M. Rouher, qui a soigneusement éludé la politique, ou du maréchal Niel, dont les paroles sont quelquefois une énigme, un autre des chefs de notre armée chargé du ministère de la maison de l’empereur et des beaux-arts, le maréchal Vaillant, entretient les Bourguignons de la bonne récolte de l’année, « de l’abondance dans la paix. » Que faut-il donc de plus ? Il paraît qu’il faudrait encore quelque chose, puisque malgré tout nous assistons depuis quelques jours à une véritable recrudescence de toutes les préoccupations, de toutes les inquiétudes, puisque cette terrible question de la paix ou de la guerre rentre plus que jamais dans les polémiques, et même, plus on multiplie les assurances, plus il semble que l’émotion se ravive, comme si on se rapprochait chaque jour du seul dénoûment inévitable.

C’est qu’en effet ce n’est pas assez, peut-être parce que c’est trop, parce qu’on parle trop de paix, selon le mot récent du général Ménabréa. Il ne suffit pas de quelques déclarations vagues ou d’un mot d’ordre de circonstance pour faire croire à la paix, pour réveiller la confiance, cette chose délicate et impalpable qui ne s’improvise ni ne se décrète à volonté. On a beau donner le signal de la sécurité dans les journaux, exhorter les capitaux avec effusion et les pousser vers des entreprises nouvelles en leur promettant qu’ils n’ont rien à craindre, en leur montrant un horizon dépouillé de ces « points noirs » qu’on voyait l’an dernier, les capitaux regimbent et continuent à prendre le chemin de la Banque, où ils vont s’enfouir dans une thésaurisation inutile. Les capitaux sont d’humeur ironique et morose, ils n’ont plus la foi ni le goût des aventures, et ils attendent pour rentrer en campagne que le jour se fasse sur d’autres campagnes. Les discours du maréchal Vaillant, on n’en peut douter, sont des morceaux de prix qui méritent toutes les reproductions et qui valent bien qu’on les expédie à toutes les communes de France ; mais il ne faut pas s’étonner en vérité que les discours du maréchal Vaillant aux Dijonnais ne soient pas un topique souverain, qu’ils ne fassent pas ce que le discours de l’empereur à Troyes n’a pas fait, ce que toutes les protestations pacifiques de M. Rouher pendant la session n’ont pu faire. La réalité est que cette maladie chronique de l’incertitude et de l’effarement