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L’Angleterre a été de l’avis de M. Gladstone ; le gouvernement de presque toutes les colonies anglaises a été remis presque tout entier aux colonies elles-mêmes ; la couronne et le parlement n’en sont plus guère que des surveillans dont l’intervention est limitée et rare. La responsabilité du pouvoir était devenue trop continue et trop lourde ; pour s’en décharger, il a accepté la liberté des sujets.

Un fait plus rare encore s’est accompli naguère en Angleterre : sur les instances répétées des Iles-Ioniennes, elle leur a rendu leur complète indépendance, qu’elles ont aussitôt échangée contre leur annexion au royaume de Grèce. Je cherche en vain dans l’histoire un autre exemple d’un grand état renonçant ainsi à l’une de ses possessions librement, gratuitement, sans aucune nécessité ni pression politique, uniquement par des considérations morales et pour ne pas s’entendre sans cesse accuser de ne tenir aucun compte des droits et des vœux d’un petit groupe d’hommes. C’était encore là une responsabilité, sans péril à coup sûr, mais non sans déplaisir, que le gouvernement anglais n’a pas voulu plus longtemps accepter.

Le constant et poignant sentiment de la responsabilité, c’est là le frein le plus efficace à l’ambition et à la tyrannie humaine ; c’est en même temps le meilleur gage comme la meilleure preuve de la liberté politique, car c’est seulement en présence de la liberté et de la publicité que le sentiment de la responsabilité du pouvoir se développe et s’établit fortement. Ce sentiment est devenu constamment présent et puissant dans la pensée et la conduite des grands pouvoirs qui gouvernent l’Angleterre, couronne et parlement. D’une part, ils n’oublient jamais le droit qu’a le pays, non-seulement d’être bien gouverné, mais d’intervenir lui-même dans son gouvernement et de le contrôler ; d’autre part, ils ne perdent jamais de vue le régime de publicité et de discussion continue au sein duquel le pouvoir vit et agit. C’est dans ce régime et par ses leçons que le gouvernement anglais a appris à modérer ses ambitions, à bien peser ses entreprises, et à régler, selon le bon sens et l’intérêt public, l’exercice de sa puissance. Il vient d’en donner dans sa campagne en Abyssinie un éclatant exemple. Que serait-il arrivé autrefois en pareille circonstance, et quand je dis autrefois, ce n’est pas à des siècles reculés que je me reporte ? Les outrages du roi Théodore envers les agens consulaires de l’Angleterre auraient amené une guerre de conquête et l’extension de la domination anglaise sur l’Abyssinie ; le gouvernement anglais aurait vu là une occasion favorable d’agrandir encore le théâtre de sa puissance. Il n’est pas tombé dans cette ambitieuse et belliqueuse ornière ; il se