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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/270

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gouvernement anglais sera toujours prêt à s’entendre avec celui de la France pour maintenir ou rétablir la paix sur le continent européen.


IV

C’est l’Allemagne qui est aujourd’hui la nation révolutionnairement belliqueuse de l’Europe. Quand j’appelle l’Allemagne une nation, je n’ai garde de vouloir trancher la plus grande peut-être des grandes questions qui nous agitent aujourd’hui. Parce qu’elle dérive de la même race et parle la même langue, est-ce en effet une seule et même nation que la nombreuse population qui habite, au centre de l’Europe, le vaste territoire qu’on appelle l’Allemagne ?

Oui, il y a dans la similitude de race et de langage un fait important et un lien national qui ne sont ni sans droit ni sans force. Non, ce fait et ce lien ne sont pas, bien s’en faut, les seuls qui président à la formation et à l’organisation politique des états, et qui aient droit de régler leur destinée.

La nation allemande en est elle-même une éclatante preuve. Elle a concouru, elle concourt encore de nos jours à la formation et à l’existence de plusieurs états divers dont elle est devenue et dont elle reste un élément très intimement et légitimement incorporé. Il y a des populations allemandes de race et de langue en France, en Suisse, en Hollande, en Russie, aux États-Unis d’Amérique. Est-ce à dire qu’elles n’appartiennent pas, en droit comme en fait, à l’état dans lequel l’histoire les a fait entrer, et qu’elles puissent invoquer ou qu’on puisse invoquer en leur nom leur origine et leur langue pour les faire entrer, en vertu du principe des nationalités, dans un état allemand unitaire par ses habitans comme par son nom ?

Un prince éminent par l’étendue, la sagacité et la fermeté de son esprit, le feu roi de Wurtemberg Guillaume Ier, m’écrivait de Stuttgart le 5 décembre 1850 : « Les affaires de l’Europe se trouvent dans un état bien compliqué. La France et l’Allemagne cherchent également à réorganiser la stabilité de leurs gouvernemens sur des principes durables et conservateurs ; mais la France a le grand avantage d’avoir l’expérience de son histoire et d’avoir un seul but. L’Allemagne est un grand peuple, mais non pas une nation, et ses différens peuples ont une histoire et des intérêts très distincts, ce qui rendra la reconstruction d’une ligue allemande très difficile. Pourtant la paix, la sûreté de notre avenir, la stabilité de nos institutions, dépendent essentiellement de l’assiette future de la France et de l’Allemagne. »