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On connaît ces résultats, ce sont des faits accomplis. Je ne veux aujourd’hui ni les raconter ni les discuter ; c’est de l’avenir, non du passé, que je me préoccupe. Il s’est trouvé en Prusse un homme qui a jugé l’occasion bonne pour pousser loin, très loin, la fortune de son pays. Je ne connais pas personnellement M. de Bismarck ; il y a déjà longtemps, j’avais souvent entendu parler de lui par des personnes qui le connaissaient bien, et d’après leur langage il m’était arrivé un jour de dire : « Il n’y a qu’un ambitieux et un audacieux en Europe, c’est M. de Bismarck. » Je ne savais pas dire si vrai. Excité, je ne veux pas dire enivré par son succès dans la question danoise, M. de Bismarck a réveillé et ramené sur la scène la grande question allemande assoupie ; il a entrepris de faire enfin conquérir à la Prusse en Allemagne cette domination à laquelle elle aspire depuis si longtemps. Il a réussi, non pas certes à résoudre pleinement et définitivement la question de l’organisation et de l’avenir de l’Allemagne, mais à faire faire à cette question un grand pas au profit de sa patrie. Depuis la chute de l’empereur Napoléon Ier, l’Europe n’avait rien vu d’aussi téméraire que la guerre faite par la Prusse à l’Autriche en 1866, ni aucun succès aussi prompt et aussi décisif que la bataille de Sadowa.

On dit qu’avant d’engager cette grande lutte, M. de Bismarck a essayé d’engager la France dans la cause de la Prusse, et que, pour tenter le gouvernement impérial, il lui a offert d’ajouter le remaniement de l’Europe à celui de l’Allemagne. et de faire à la France, dans ce nouvel accès de partage des peuples, une large part. Je ne sais ce qu’il pouvait y avoir de réel dans ces bruits, dont la Belgique et la Hollande, entre autres, se sont vivement émues ; je ne m’arrête pas à discuter des propos et des hypothèses. Quoi qu’il en soit, si de telles ouvertures ont eu lieu, l’empereur Napoléon III a fait sagement de s’y refuser ; il ne s’est pas élevé au trône en guerrier conquérant, et la France n’a plus la passion des conquêtes. A-t-il fait, en s’y refusant, tout ce qu’il aurait pu faire pour arrêter ou limiter la Prusse dans la voie d’ambition où la lançait M. de Bismarck, et pour influer sur la réorganisation de l’Allemagne selon le légitime intérêt de la France ? Je ne le crois pas ; mais je laisse également de côté cette question, je cherche non pas à faire ressortir dans le passé d’hier les fautes de la politique française, mais à démêler comment aujourd’hui, dans l’état actuel des faits, elle devrait, à mon sens, être conçue et conduite.

On ne saurait trop répéter que l’agrandissement de la Prusse et sa domination incontestée en Allemagne sont pour la France des faits très graves. Je ne sais si, comme bien des gens le désirent et comme presque tous le disent, le temps des petits états est tout à